39

25 6 14
                                    

Jeriko flatta l'encolure de sa monture.

Seule au cœur du désert, elle vagabondait sous l'intense lumière du soleil. Le visage emmitouflé dans un épais tagelmust, Jeriko se fondait dans les bourrasques du vent et ses volutes de poussière. Le sable valsait aux pieds du chameau, soulevé par ses larges enjambées. Le silence qui habitait les plaines avait quelque chose d'inquiétant.

Jeriko passa une main sur son front, trempé de sueur. Avec un soupir, elle plongea sa main dans la poche de sa burka pour y tirer une petite boussole. L'aguille trembla quelques instants avant de s'immobiliser. Fronçant les sourcils, la jeune femme réajusta son voile. Cela faisait plusieurs heures déjà qu'elle chevauchait vers le nord, mais aucune trace de la caravane d'Umed.

Jeriko plissa les yeux.

Elle était épuisée. Elle étouffait sous ses couches de vêtements et sa gorge, bien trop sèche, commençait à la démanger. Bercée par la cadence langoureuse du chameau, la jeune femme ne s'était jamais sentie aussi perdue. Traversée par le doute, elle refusait de se laisser aller aux regrets. Des années auparavant, enchaînée dans le sous-sol de sa propre maison, elle s'était juré de faire tomber les Udāra, un par un. Elle avait renoncé à son honnêteté, à sa gentillesse, à son innocence, ainsi qu'à sa morale. Elle avait menti, triché, manipulé, abandonné... Elle s'était sali les mains.

Elle irait jusqu'au bout. Et ils paieraient pour ce qu'ils lui avaient fait.

Le cœur battant, Jeriko serra les brides de cuir vieillit de sa monture dans ses poings. Elle aurait aimé que Redha et son inébranlable détermination soient à ses côtés. Son inquiétude maladive et ses remarques acides lui manquaient. La jeune femme inspira profondément pour chasser l'angoisse qui lui pesait sur le cœur.

Elle y était presque. Et, enfin, elle serait libre.

Le regard fixé sur l'horizon désert, Jeriko esquissa un sourire satisfait lorsqu'elle aperçut les tentes colorées de la caravane surgir au loin. Retenant un cri victorieux, la jeune femme donna un coup de talon contre le flan du chameau qui accéléra en un râle irrité.

Le campement, constitué d'une dizaine de tentes et de deux chariots bâchés, dans lesquels les marchandises avaient été soigneusement rangées, s'élevait entre deux hautes dunes. Une vingtaine de dromadaires sommeillaient autour des petites huttes de toiles vertes. Alors qu'elle dévalait la pente, toujours sur le dos de sa monture, Jeriko aperçut deux hommes, au visage dissimulé par leur tagelmust, qui l'observaient. Ils l'attendaient, leurs mains cailleuses, calcinées par les rayons du soleil, posées sur le pommeau de longues cimeterres.

Sans mot, la jeune femme fit s'arrêter son chameau à leur hauteur et démonta avec souplesse, avant de retirer son voile. Aussitôt, le sable lui griffa les joues et lui brûla les yeux, mais Jeriko s'efforça de garder les paupières ouvertes. Elle devait rester sur ses gardes.

— Je suis Jeriko Hirschwald, déclara-t-elle d'une voix forte pour couvrir le chant du vent. Je viens voir Umed.

Les deux hommes, dont les prunelles émeraudes scintillaient dans l'ombre de leur tagelmust, la dévisagèrent quelques instants. Puis, le plus vieux saisit l'une des mèches de cheveux qui s'était échappée du chignon de Jeriko et marmonna :

— Hirschwald... C'est Devva ?

Serrant les dents, la jeune femme s'efforça de rester impassible. Le moindre geste de rejet pourrait être interprété comme une insulte, voire une déclaration de guerre de sa part. Réfléchissant à vive allure, elle réalisa brusquement qu'ils la prenait pour une Luanne. « Devva » signifiait « démon », en Maune. Constancio lui avait expliqué que c'était un mot désuet, que seuls les populations nomades utilisaient encore pour désigner le peuple Luan, leur plus grand ennemi. Déglutissant avec difficulté, Jeriko répondit en pesant ses mots :

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant