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—  Échec et mat ! s'exclama Chad, victorieux.

Avec un sourire, Constancio leva les mains en signe de reddition avant de le féliciter. Gonflé d'orgueil, le Roi se tourna vers Koja qui, vautré dans un vieux hamac de toile taché, ouvrit à peine les yeux.

Chad esquissa une moue peinée.

Une délicate brise s'engouffrait entre les portes, grandes ouvertes, de la timonerie pour faire valser la flamme des bougies. Les dernières lueurs du crépuscule illuminaient encore le ciel d'encre qui pendait lourdement au-dessus d'une mer aussi silencieuse qu'immobile.

Sur le pont, les marins jouaient aux cartes. Ils s'étaient tous regroupés près du grand mât et leurs visages étaient étrangement éclairés par l'éclat de plusieurs lanternes, disposées au centre de leur cercle. Une atmosphère joviale flottait dans l'air et, parfois, leurs rires accompagnaient le doux chant de l'océan.

Attachée au mât de misaine, Shih observait le ciel. Ses yeux brillaient dans le noir, pleins de larmes qu'elle ne verserait pas.

Posant ses coudes sur la table, Chad se détourna de la prisonnière, le cœur lourd, et posa son menton dans ses paumes. Il jeta un regard à Jeriko. Installée à côté de Constancio, elle noircissait de mots saccadés les pages d'un petit carnet de cuir. Elle lui avait avoué qu'elle aimait écrire, raconter toutes sortes d'histoires et qu'elle s'était lancé dans la rédaction d'un roman. Il avait eu la chance de lire les premiers chapitres et il devait admettre qu'elle avait du talent.

Concentrée, elle ne n'aperçut par les œillades intriguées que jetait Constancio par-dessus son épaule, tandis qu'il rangeait le plateau de jeu.

Chad soupira discrètement. Dans le fond de la pièce, Siegfried lisait. Penchant la tête sur le côté, le Roi déchiffra difficilement le titre, Post Mortem, le nom de l'auteur était à moitié effacé par le temps. Intrigué, Chad allait interpeler le soldat et sursauta lorsque Koja grogna.

Jeriko se redressa, Constancio lui lança un regard désolé, Siegfried ne prit même pas la peine de lever les yeux de son roman. Il était resté au chevet du corsaire toute l'après-midi.

Chad esquissa un faible sourire.

Koja était incorrigible. Il avait négligé la gravité de ses blessures et, après avoir été de nouveau soigné par le médecin de bord, il s'était mis en tête d'affronter Aurell en duel à l'épée. Belén, furieux, l'avait attrapé par le col pour l'obliger à avaler un puissant remède qui l'avait vidé de ses forces. Il l'avait ensuite jeté dans son hamac. Tel un enfant injustement puni, Koja n'avait cessé de geindre, de pleurnicher, d'implorer Siegfried pour qu'il le libère des filets brumeux qui emprisonnait son esprit. Il avait fini par sombrer dans un sommeil agité d'où il émergeait parfois, terrifié et trempé de sueur.

La tête renversée en arrière et la bouche entrouverte, il manquait clairement d'élégance. De la bave maculait le coin de ses lèvres et il avait sorti l'une de ses jambes du hamac. Belén avait jeté son manteau sur une chaise et retiré ses bottes mais il n'avait pas pris la peine de reboutonner sa chemise. Chad se sentait un peu coupable de l'épier ainsi. Il ne put cependant pas s'empêcher de jubiler lorsqu'il décela une pointe de tendresse naître dans les prunelles polaires de Jeriko alors qu'elle jeta un regard à Koja.

La situation manquait cruellement de romantisme, mais il avait entrevu le début d'une bien étrange histoire d'amour.

Chad soupira, las, et reporta son attention sur Constancio qui nettoyait le verre de ses lunettes. Perdu dans ses pensées, il fut surpris quand Belén entra dans la timonerie, talonné par Hiran. Il avait l'air fatigué, agacé aussi. Il se laissa tomber sur une chaise sous les regards interrogatifs du groupe. Le paladin s'épaula en silence à l'encadrement de la porte.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant