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L'aube se levait sur Vajra.

Après avoir passé la nuit à courir dans les rues de Château Rouge, les petits voleurs aux mains sales mais au cœur pur allaient se réfugier dans les bras de l'ombre, tandis que les plus riches gangs arpentaient le port, bien déterminés à investir dans les chantiers navals. Installé au bord du quai, ses deux bottes de cuir battant en cadence la pierre rongée par le sel, Koja tenait compagnie à la mer.

Derrière lui, la ville et ses imposantes constructions s'éveillaient : de nouveaux navires étaient arrivés cette nuit ; les dockers avaient déjà repris leurs incessants aller-retours jusqu'à l'entrepôt portuaire tandis que les marins déversaient leur peine dans les bars, le cœur à l'envers d'avoir enfin les pieds sur terre.

Une tasse de thé à la main, le corsaire profitait du calme matinal pour réfléchir. Sa dernière expédition avait été un véritable fiasco : plus de la moitié de son équipage n'était pas rentré et son navire, aussi fidèle soit-il, ne quitterait plus jamais le port. La gorge nouée, il pouvait encore ressentir l'horreur qu'il avait éprouvée. Il s'était vu mourir sous les coups de la fièvre, des canons pirates ou des javelots Luans. La peur, la rage, la peine... Tant de démons à affronter. Seul au milieu de l'océan, il s'était senti sombrer. La vie humaine était trop fragile, et la mort était à l'affût du moindre faux pas.

Koja avala une gorgée. Son thé était froid. Il devait faire ce dernier voyage.

Levant les yeux vers Le Joyau qui se balançait avec tristesse à ses côtés, le corsaire sourit. Il y croyait encore. Il avait beau se répéter qu'ils ne trouveraient rien, que ce maudit œuf n'existait pas, qu'Heliyopolis n'était qu'une légende... Il voulait y croire.

Cela faisait plus de dix ans qu'Inaya s'était évaporée ; dix ans qu'il cherchait le moyen de la ressusciter. Toutes les potions, tous les sortilèges avaient échoué. Seules les cendres du Phīniks pourraient lui rendre cet éclat qui brillait autrefois dans le fond de ses yeux.

Le cœur lourd, Koja avala d'une traite le fond de sa tasse, avant de se pencher pour la rincer dans le port et d'en accrocher l'anse à sa ceinture. Il fallait qu'il trouve quoi dire à Belén quand les gardes de Sa Majesté viendraient le tirer une nouvelle fois de sa prison.

Passant une main sur son visage fatigué, Koja se releva pour observer les marchands qui commençaient à s'installer le long du quai. Leurs établis débordaient d'objets exotiques, très demandés par les populations locales. Le corsaire aperçut sur la table d'une jeune vendeuse les poteries Maunes qu'il avait volées à un navire pirate. Son voisin présentait de jolies sculptures Luannes, des ourses ou des loups, recouvertes de couleurs vives. Intrigué, Koja s'approcha de l'homme.

Positionnées avec attention sur une vieille nappe délavée, les figurines côtoyaient de larges présentoirs qui mettaient en valeur des bijoux faits à la main. De minuscules pendentifs de bois représentant divers animaux étaient attachés à de fines lanières de cuir. Entre un castor et une écaille de poisson, Koja aperçut la tête d'un renard. La gueule ouverte sur de puissants crocs, les oreilles dressées et les yeux grands ouverts, l'animal semblait pris au piège. Le corsaire sourit. Il était comme lui : un animal effrayé, qui essayait de paraître effrayant tout en cherchant à se frayer un chemin loin de la peur, bien trop proche de la mort.

Touché par cette sculpture et parce qu'il ne savait plus quoi faire de son argent, Koja acheta le collier au marchand et le glissa dans la poche de son manteau. Remontant la rue d'un pas trainant, il arriva aux portes du chantier naval. Il était en avance, comme à chaque fois qu'il avait un rendez-vous depuis la mort d'Inaya.

Poussant un soupir las, il se laissa tomber sur la petite murette qui entourait le chantier, l'isolant du reste de Vajra. Il n'attendit pas longtemps : le conseiller du Roi en personne le rejoignit, le jaugeant du haut de son puissant étalon à la robe immaculée.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant