Samudra Nari [EN PAUSE]

7

— Tu n'es qu'un idiot.

Koja haussa les épaules. Il n'avait rien à répondre. Accoudé au bastingage de la goélette, il observait avec attention les dockers qui grimpaient à bord, les bras chargés de lourdes caisses de bois. De la farine, des pommes de terre, de la viande séchée et quelques fruits confits, le corsaire ne voulait emporter que le nécessaire. Le Riko était bien plus petit que sa vieille frégate, mais il avait l'avantage d'être moins lourd, donc plus rapide. Il n'avait aucune idée du temps qu'il leur faudrait pour atteindre la côte Maune. Une vingtaine de semaines ? S'il comptait plusieurs Nïrus dans son équipage, une dizaine pourrait suffire.

Tapotant nerveusement la balustrade de bois flambant neuve, Koja se demandait s'ils auraient la place d'emporter toutes les garde-robes du Roi, quand une main s'écrasa sur sa tête. Penché sur le côté, la mine sévère et le regard assassin, Belén lui tira les cheveux pour l'obliger à lui faire face.

— Tu disais ? demanda Koja, affichant un sourire désolé.

— Bon sang, mais tu n'écoutes rien ! râla le Sarh. Tu pourrais au moins faire semblant !

Koja ricana, plus amusé qu'embêté, avant de se redresser.

— Je t'écoute, mon ami.

Belén secoua la tête, une expression amère plissant ses traits fatigués. Avec un soupir, il s'adossa au parapet.

— Laisse tomber... Je n'ai plus la force de te tenir tête, espèce de roublard.

— C'est le dernier voyage, Belén. Ensuite, tu croupiras en prison le reste de ta vie. Tu ne me reverras plus.

— Oh ! Je prie pour que tu aies raison.

Les deux hommes plongèrent dans un silence nerveux. Alors que le regard de Belén s'égarait sur la ligne d'horizon, le corsaire se racla la gorge et reprit : 

— Nous devrons faire escale à Nas'sau. 

Surpris, le quartier-maître lui jeta un regard noir. Il ouvrit la bouche pour protester mais Koja le devança : 

— Les scribes de Sa Majesté ont fait un merveilleux travail mais, malgré tout ce que l'on sait de l'œuf de Bosh, je n'ai aucune idée d'où le trouver. Mauna Kea est immense et je ne sais pas si l'Empereur aura la bonté de nous aider. 

— Tu préfères acheter des informations aux crapules plutôt que de faire confiance à ton Roi... releva Belén, faussement choqué. 

— Chad est trop jeune. 

— Il est majeur, Koja. Il porte la couronne mieux que quiconque et tu le sais. 

— Je sais aussi qu'il gaspille tout l'or du royaume dans de vaines expéditions et que ses caprices m'ont fait naviguer jusqu'aux confins du monde !

Belén eut une moue déçue, mais ne dit rien.

— Chad n'y connait rien en politique. Ses conseillers dirigent le royaume à sa place. Il n'a jamais quitté Woe, mais son absence n'aura aucune conséquence. L'Empereur le sait et il a la réputation d'être un fieffé joueur. 

— Bien, soupira le Sarh. Je vais recalculer notre itinéraire. Cap sur Nas'sau.

Koja lui adressa un sourire débordant de gratitude et, tandis que Belén intimait aux dockers d'accélérer la cadence, il reporta son attention sur les passants qui déambulaient dans le port. Leurs sourires lui semblaient si paisibles. Il ne pouvait s'empêcher de penser à la vie qu'il aurait menée s'il s'était marié avec Inaya. Sans doute se seraient-ils installés loin de Vajra et de la mer. Sans doute auraient-ils acheté une petite maison, à la campagne ; ils auraient passé leurs journées à travailler dans les champs, à regarder leurs enfants grandir, loin du vacarme urbain.