Prologue

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Le feu.

Il brûlait le ciel de sa vive lueur.

Le feu.

Il rongeait les murs à moitié effondrés, la peau et toute cette chair qui fondait.

Le feu.

Il se reflétait dans ses yeux, se moquait de lui.

Immobile aux pieds de la Carc, Koja observait chuter les deux immenses tours sur le toit de mosaïque, qui explosa sous leur poids. Une large fenêtre, ouverte vers le soleil, s'était creusée dans le dôme qui étouffait derrière les nuages de fumée.

Couvrant les hurlements terrifiés des villageois et les râles de désespoir que poussaient les blessés, le bruit de ses chaussures claquant contre les pavés retentissait dans sa mémoire. Les exclamations et les rires qui s'élevaient dans les rues quelques minutes plus tôt avait été balayés par le souffle de l'explosion. Koja se souvenait d'avoir couru à perdre haleine... Il était en retard.

Les yeux écarquillés, seul face aux hautes flammes qui réduisaient en cendres ce qu'il restait d'un bien court bonheur, Koja sentit son cœur prendre feu avec la Carc.

Le renard.

Il était en retard à son propre mariage pour une simple histoire de renard. Il se souvenait de cette étrange idée : il se revoyait arriver sur le parvis de la Carc avec, dans les bras, un renard au pelage aussi flamboyant que sa propre chevelure... Aussi éclatant que le feu qui consumait sa vie.

Son père n'avait pas réussi à mettre la main sur cette maudite bête. Koja était arrivé trop tard... A cause d'un renard.

Un renard.

Le cœur battant, le souffle court, Koja revivait sans cesse cette course effrénée et cette arrivée en enfer. L'explosion, les sinistres lumières qui s'étaient emparées du ciel, les cris, les pleurs, la colère... Inaya.

Inaya.

Il ne l'avait pas quitté des yeux.

Assise sur le trône immaculé de la mariée, splendide dans sa longue robe vermeille, elle semblait plongée dans un songe sans fin. Son visage aux traits si délicats était éclairé par le feu qui valsait autour d'elle. Les invités calcinés dormaient tous à ses pieds nus. Son regard noir se paraît d'un éclat rouge, aussi tranchant que la lame qui perçait son cœur. Inaya était la reine d'un royaume en cendres.

Elle lui en voulait.

Il était arrivé trop tard. Il l'avait abandonnée aux mains des barbares. Il n'avait pas tenu ses promesses.

Jetant des regards vidés autour de lui, Koja tenta en vain de se détacher de sa douce silhouette. Les yeux d'Inaya resteraient à jamais ouverts dans sa mémoire. Le sang qui s'était échappé de son cœur tacherait ses mains. Cet amour immolé s'attacherait toujours à ce corps défait... Koja n'oublierait pas.

Alors qu'il sombrait dans une rancœur abyssale, la voix d'Inaya résonna en lui :

— Renard trop rusé pour tomber dans le premier piège, mais pas assez pour éviter le second.

Une main se posa sur son épaule, une lame se glissa entre ses côtes. Le second piège. Tombant à genoux, Koja sentit enfin les larmes gonfler ses paupières. Il n'avait plus la force de lutter. Il voulait s'allonger là, dans les flammes, aux pieds de cette reine à la peau noire et à la splendeur sauvage. Il ne pouvait pas continuer sans elle. Il avait besoin d'Inaya.

Ses doigts se crispèrent contre le sol. S'il avait eu le pouvoir de la ressusciter, s'il avait pu la faire renaître... Une botte percuta violemment l'arrière de son crâne. La lame caressait sa peau, la trouait de toute part. Koja allait se faire dépecer comme un animal. Un renard.

Son cœur se pressa brutalement, Koja sauta sur ses pieds et, attrapant d'une main le poignard qui fouillait ses chairs, il trancha la gorge du monstre qui l'avait mis à genoux. Le sang gicla sur son visage.

Ils avaient fait de lui une bête.

S'échappant des flammes et de l'enfer, Koja se promit de revenir chercher Inaya. Il trouverait un moyen de la retrouver, quelqu'en soit le prix. Il ne craignait pas le sang, la douleur et la haine. Il saurait éviter les pièges et tenir tête à la mort elle-même.

Koja ferma les yeux.


Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant