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Redha lâcha un juron.

Le souffle court, il essuya ses lèvres sur la manche trempée de sa tunique avant de laisser sa tête, bien trop lourde, tomber en arrière. Assis en tailleur à même le sol, il jeta une œillade dégoûtée au vieux seau dans lequel il vomissait depuis plusieurs heures déjà. Le liquide d'un blanc vitreux lui renvoyait son regard dépité.

Redha poussa un soupire. Il avait été imprudent.

Le Dēha papillonna rapidement des paupières et, pris d'un haut-le-cœur, se pencha de nouveau sur le seau pour cracher un caillot de sang noir.

Son corps, secoué par de violents spasmes, se consumait de l'intérieur. Il avait utilisé une trop grande quantité de magie. Il avait défié les lois de la nature et ressoudé des chairs trop profondément blessées... Il devait payer.

Esquissant un sourire désespéré, Redha observa avec attention ses mains. Ses doigts, contusionnés, étaient sillonnés de veines violacées et gonflées, comme prêtes à éclater. Il devait faire peine à voir. Si la douleur ne l'empêchait pas de respirer, il aurait sûrement ri.

Quelle ironie ! Lui qui n'avait jamais rêvé d'être un héros, il était condamné à donner sa vie pour sauver les autres.

Passant une main sur son front ruisselant de sueur, il ravala un gémissement de douleur. Redha laissa son regard dériver sur le faux-pont. La trentaine de hamacs vides, installés entre les larges poutres de bois vernis, semblait l'observer en silence. Il était tiraillé à l'idée qu'on puisse le découvrir, blotti dans le coin de la pièce, se noyant dans la douleur, la sueur et le sang. Il détestait attirer la compassion et la pitié des autres.

Redha sentit la nausée la saisir de nouveau et, attrapant le seau, il maudit le hasard qui avait allumé en lui le pouvoir des Dēha. Ce n'était pas un don, mais une malédiction.

Le goût métallique, si amer, du sang se rependait sur sa langue. Une odeur de mort flottait autour de lui. Redha glissait dans les bras de la douleur quand un craquement brisa le silence. Le médecin sentit son cœur se serrer. Il écarquilla les yeux mais, plongé dans le flou, il distingua à peine la silhouette qui sortait de l'ombre pour s'approcher à pas lent.

Il le reconnu à ses yeux bruns, rougeoyant dans l'obscurité. Koja.

Redha sourit avec arrogance. Il se redressa un peu et, prenant soin de réajuster les manches de sa tunique sur ses tatouages, il lui lança un regard méprisant.

—  Il fallait que ce soit toi, marmonna-t-il d'une voix rauque.

Perplexe, le capitaine jeta une œillade au seau. Il avait l'air sincèrement désolé. Agacé, Redha attendit qu'il ouvre la bouche pour le couper :

—  Si j'entends ne serait-ce qu'une once de pitié dans ta voix, je te redresse moi-même le nez.

Koja leva les mains en signe de reddition et, affichant un sourire amusé, il se laissa tomber à ses côtés, ignorant l'odeur âcre qui flottait dans la pièce. La tête appuyée contre le mur, son regard se perdit dans le vague, tandis qu'il savourait la légèreté du silence.

Redha retint un haut-le-cœur et attrapa la gourde qu'il avait attachée à sa ceinture. L'eau lui parut étrangement sucrée lorsqu'elle glissa dans sa gorge irritée. Gêné, il essayait d'endiguer les tremblements qui agitaient ses mains. Il savait que, même si Koja feintait l'indifférence, il ne perdait pas une miette de ce pitoyable spectacle. Et Redha avait trop d'orgueil pour accepter d'être une bête de foire.

Il cherchait une remarque acerbe à lui lancer, mais fut devancé par Koja, qui demanda d'une voix calme :

—  Ça fait quoi ?

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant