La porte s'ouvrit sur deux yeux d'un bleu fatigué.
La mine inquiète, une femme se tenait dans l'ouverture, un soupçon d'espoir flottant sur ses traits rongés par le temps. De profondes rides creusaient son front et ses joues, froissant sa peau si pâle. Relevés en un frêle chignon, ses cheveux d'un blanc immaculé tombaient dans sa nuque en une cascade éblouissante. Elle avait beau avoir devant elle encore une bonne trentaine d'années, elle semblait épuisée, prête à s'envelopper d'un linceul.
L'angoisse et l'absence avaient éteint quelque chose en elle. Seule une petite lueur, si fragile, continuait à brûler derrière la façade de ses yeux.
Le corps tremblant de froid ou de surprise, la femme leva les yeux et esquissa un sourire. Son regard humide s'alluma. Elle tendit ses mains pour faire courir ses doigts, abîmés par le travail, sur ce visage qu'elle connaissait par cœur.
— Koja..., murmura-t-elle.
— Am'ma.
Saisie par ce timbre si familier, par cette douceur éternelle qui la traversait à chaque fois qu'elle se plongeait dans ces prunelles brunes, la vieille femme laissa échapper un sanglot.
Il était rentré, cette fois-ci encore. Koja avait survécu à la mer et à ses bras impétueux dans lesquels il aimait se jeter. Il avait évité les pièges où de trop nombreux marins sombraient et s'était arraché à cette étreinte malsaine qui faisait de lui un pirate parmi tous les autres.
Submergée par l'émotion, la femme voulut le prendre dans ses bras, mais n'en eut pas la force. Elle craignait que ce ne soit qu'un songe. À chaque fois qu'il repartait en mer, elle priait pour qu'il lui revienne. L'attente était douloureuse et elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'un jour ou l'autre, il ne rentrerait pas. Esquissant un sourire tendre, Koja s'avança vers elle pour la serrer contre lui :
— C'est moi, maman, souffla-il simplement.
Ils avaient tant de choses à se dire. Seul le silence semblait pouvoir traduire la violence de leurs inquiétudes, comme la douceur que faisait naître en eux ces retrouvailles.
Blottie contre son enfant, la vieille femme remarqua à peine la dizaine d'hommes qui attendaient un peu plus loin sur le chemin. Attroupés autour d'une imposante charrette, ils discutaient à voix basse.
Derrière elle, son mari surgit de l'ombre, se tenant à l'écart. Elle s'attendait à l'entendre saluer son fils, mais l'homme resta silencieux. Le jour où l'horreur s'était emparée de leur vie, quelque chose s'était brisé entre eux. Son époux n'avait jamais appris à s'excuser. Koja ne savait pas pardonner.
La gorge nouée par ce vide qui planait dans la pièce, la femme s'écarta et fut surprise de découvrir le sourire tendre qu'affichait Koja.
— Appa, je viens chercher Inaya.
Une étrange lumière valsait dans le fond de ses yeux. L'espoir. Le cœur battant, la vieille femme savait que Koja n'avait jamais cessé de l'aimer... elle. Cette sorcière à la peau noire et au regard abyssal avait fait de lui son pantin. Elle avait passé des chaînes à son esprit, lui avait volé ses valeurs comme ses ambitions.
Il n'avait suffi que d'un sourire.
Ce maudit sourire qui avait poussé son fils dans les bras d'un ange déchu.
Serrant les dents, la vieille femme jeta un regard inquiet à son mari, qui l'ignora, toute son attention tournée sur leur fils. Pâle comme la mort, l'homme esquissa un mouvement, mais se ravisa, préférant demander d'une voix tremblante :
— Tu repars en mer ?
Koja ne répondit pas.
Il ne reviendrait pas. Pas cette fois.
VOUS LISEZ
Samudra Nari [EN PAUSE]
Fantasy« Renard trop rusé pour tomber dans le premier piège, mais pas assez pour éviter le second. » Les légendes possèdent toujours une part de vérité, du moins, c'est ce qu'il croyait. Corsaire reconnu et émissaire personnel de Sa Majesté, Koja rentre un...