31

24 8 41
                                    

Tout n'était que bruits, couleurs et odeurs.

Piqué sur le quai au milieu d'une foule de marins épuisés, Chad jetait des regards émerveillés tout autour de lui. Duḥkha était une cité très ancienne, à l'architecture maune traditionnelle. Les bâtiments de pierre rouge, vieillis et rongés par le sel, étaient à moitié détruits. Les murs, sur lesquels serpentaient d'immenses fissures, ployaient sous le poids des années et penchaient dangereusement en avant. La ribambelle de maisons, que les Maunes décoraient de plantes et de grigris religieux, semblaient s'appuyer les unes sur les autres, comme aspirées par la pente. D'immenses escaliers parcouraient la ville pour venir s'échouer au port, présentant tout du long les stands de marchands ambulants aux grands sourires édentés. L'air était chargée d'une douce odeur oxydée, mêlée aux parfums épicés qui s'échappaient de certaines boutiques, recouvrant la puanteur âcre de la Misère, déguisée en badaud, qui se promenait dans les rues.

Chad n'avait jamais vu d'endroit pareil.

Les puissants rayons du soleil, qui faisaient briller les flots, s'engouffraient entre les hautes bâtisses, éclairant les visages burinés des marchands. Assis à même le sol, vêtus de guenilles défraichies, des hommes et des femmes de tout âge, s'égosillaient dans une langue inconnue, dans l'espoir d'échanger leurs créations contre quelques pièces de monnaie. Sur d'immenses tapis reposaient diverses étoffes et objets de métal sculpté. Des marchandises exotiques, des bijoux en argent, des sacs de cuir, des bols débordants d'épices, des Falcatas, des Cimeterres et des Jambiya à la lame dorée, forgée avec la plus grande précision... Tout s'achetait, tout se vendait. L'argent passait de mains en mains, remplissait les poches trouées des marchands ambulants.

Hypnotisé par l'agitation qui régnait dans les rues, Chad sursauta lorsqu'une main se posa sur son épaule. Emmitouflé dans son obscure toge, malgré l'intense chaleur, Constancio adressa un regard méprisant à la foule qui grouillaient autour des stands avant de reporter son attention sur le Roi. Il semblait nerveux. De profondes rides creusaient son front blafard.

— Les Souks sont d'une tristesse... marmonna-t-il en réajustant ses lunettes sur son nez.

— Ces gens n'ont pas vraiment l'air de se morfondre.

Constancio esquissa un sourire attristé.

— La Misère a de nombreux visages. L'homme le plus souriant est rarement le plus heureux.

— Et celui qui pleure est rarement le plus à plaindre ! poursuivit Koja en enfilant son vieux manteau de corsaire. Les soldats de l'Empereur viennent arriver, Mejesi.

Surpris, Chad se retourna et découvrit la dizaine de Maune qui patientaient autour d'un imposant char, auquel étaient attelés deux puissants étalons blancs. Vêtus d'une légère armure, chaque soldat portait à la ceinture une cimeterre, dont la lame en or reflétait la lumière du soleil. Coiffé de casques pointus, il se tenait bien droit et arboraient une expression dure, conquérante.

En parcourant ces silhouettes des yeux, Chad ne put s'empêcher de penser à sa propre garde : leur uniforme était, certes, moins rutilant, mais ils n'avaient rien à envier cette bande de pantin, plus apte à effectuer un ballet qu'à défendre un royaume. Les Maunes avaient le sens du spectacle... Chad s'efforça de refouler son irritation. Il refusait d'admettre que l'Empereur possédait une meilleure armée.

Sans un mot pour les soldats et le cocher, qui ouvrit la porte du char avec une profonde révérence, Chad s'installa sur les banquettes de velours. Constancio pris place à ses côtés et invita Aurell et Koja à s'asseoir en face. Alors que le maître d'arme, gêné, se tortillait sur son coussin, Koja touchait tout ce qui était à sa portée. Il faisait courir ses doigts le long des parois sculpté, savourant le contact du velours contre sa paume. On aurait dit un enfant, découvrant pour la première la beauté du luxe.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant