Jeriko retint son souffle.
Perchée sur la scelle de son immense monture, elle papillonna rapidement des paupières comme pour s'assurer qu'elle n'était pas en train de rêver. Jeriko n'avait rien vu de tel.
Ils avaient quitté Duḥkha depuis plus d'une heure, traversé le dédale de rues étroites et bondées du port pour ensuite longer l'immense fleuve qui abreuvait une trentaine de rizières, où travaillaient femmes, enfants et vieillards. Vêtus de chemises de lin ternes, leurs pantalons larges étaient relevés à l'aide de cordons élimés, dénudant leurs jambes, constamment plongées dans l'eau trouble. De lourds paniers d'osiers pesaient sur leurs frêles épaules. Hypnotisée par leurs gestes, si précis, Jeriko avait été surprise de voir les agriculteurs saluer le cortège royal, de grands sourires illuminant leurs visages burinés par le soleil.
L'air, bien trop sec, se chargea d'une désagréable chaleur alors que débutait l'après-midi. Des bourrasques brûlantes venant du désert, que l'on commençait à apercevoir au loin, se levèrent. Les soldats tendirent un épais voile de toile au-dessus du char pour abriter le Roi qui suffoquait dans sa tunique. Ils distribuèrent également des tagelmusts aux cavaliers, qu'ils enroulèrent avec habilité autour de leur crâne, couvrant à moitié leur visage dégoulinant de sueur. A l'abri sous son voile, Jeriko eut le souffle coupé lorsqu'ils prirent de la hauteur et purent enfin découvrir le désert Hatāśe.
Rien n'était plus impressionnant que cette étendue sans fin de dunes où rien ne subsistait. On aurait dit l'Ātmagaḷa Samudra, océan figé par le temps, comme l'étaient les plus grands héros lorsqu'ils croisaient le regard de Meḍusā... Tout un monde réduit en grains de sable. De la poussière.
Jeriko n'avait jamais mis les pieds à Mauna Kea. Elle n'avait jamais pris la mer et posé les yeux sur ce qu'il y avait derrière l'horizon. Elle connaissait par cœur les vertes praires de Woe, ses immenses grottes rongées par le sel et son ciel, chargé de la fumée des usines. Les mines de charbons, côtoyant les forêts de sapins enneigées. La surface pâle des lacs, les toits de chaumes et les marchés locaux dans les villages ; les pavés humides et l'électricité grésillante de la ville... Rien n'était comparable à la diversité des paysages de Mauna Kea, mais il fallut que le cortège royal se hisse péniblement en haut d'une énième colline pour que la jeune femme s'en rende compte.
Construit au creux d'une large vallée, la résidence secondaire de l'Empereur s'élevait au centre d'un îlot autour duquel l'on avait creuser de larges bassins, où allait se jeter le fleuve. Les murs en pierre étaient recouverts d'étranges arabesques de fer forgé, sur lesquelles s'enroulaient les branches verdoyantes de plantes rampantes. Le toit, fait de verre, renvoyait les rayons du soleil tel un immense cristal, et permettait sans aucun doute de profiter du somptueux spectacle astral la nuit. Les doubles portes de bois sculptées de l'entrée s'ouvraient sur un escalier, donc les marches de marbres étaient couvertes d'amphores remplies de bouquets exotiques. La cour, qui s'étendait aux pieds du palais, étaient bondée.
C'était un jour de fête.
Installé sous de petites tentes colorées, des musiciens jouaient du zurna, de la nay, de l'arghul, du luth oud et du rebab avec ferveur, accompagnant la voix grave d'une chanteuse, dont le timbre sensuel s'accordait à la perfection aux accents cuivrés des instruments. Des jeunes femmes, toutes parées de tenues traditionnelles, faites de soie et de grelots dorés, dansaient en roulant des hanches au rythme de la musique. Les spectateurs, grisé par la gaité ou par l'alcool, esquissaient quelque pas maladroit, riaient à gorges déployées et lançaient des baisers aux danseuses. Installés au bord des bassins sur d'épais coussins de velours, le reste des invités discutaient à l'ombre de hauts palmiers, les pieds dans l'eau. Certains même avaient plongé tout habillés et s'amusaient, tel des enfants, à s'éclabousser.
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Samudra Nari [EN PAUSE]
Fantasi« Renard trop rusé pour tomber dans le premier piège, mais pas assez pour éviter le second. » Les légendes possèdent toujours une part de vérité, du moins, c'est ce qu'il croyait. Corsaire reconnu et émissaire personnel de Sa Majesté, Koja rentre un...