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Koja ouvrit les yeux.

Le souffle court, le cœur battant, il passa une main sur son visage couvert de sueur. Il se redressa entre ses couvertures, perplexe. Son regard se noyant dans le vague, il écouta le silence, toujours endormi à ses côtés, bercé par le lointain chant de l'eau qui s'agitait contre l'épaisse coque du navire.

Ce n'était qu'un cauchemar.

Inspirant profondément, Koja eut un sourire fatigué. Il ne savait pas pourquoi il s'entêtait encore à essayer de trouver le sommeil. L'obscurité serait toujours habitée par ces sinistres images et par ce regard éteint dans lequel il ne pouvait que sombrer.

La gorge nouée, Koja quitta ses draps humides, laissant derrière lui ses sombres songes et ses derniers espoirs de repos. Le soleil devait être à peine levé, mais déjà, ses intenses rayons traversaient les planches de la cale, répandant dans l'étroite cabine une chaleur étouffante.

Koja souleva d'un geste las le couvercle du tonnelet qui avait été poussé dans le coin de la pièce, pour tremper ses mains dans une eau presque croupie. Rapidement, il nettoya son visage et ses bras à l'aide d'un chiffon humide, plissant le nez, écœuré par l'odeur de moisissure qui longeait les murs, imbibant le moindre vêtement. Ce voyage devait prendre fin. Il n'aurait pas le courage de supporter cette crasse plus longtemps.

Alors qu'il refermait le tonneau, des bruits de pas résonnèrent au-dessus de sa tête. Les marins commençaient à s'éveiller, sûrement rassénérés par cette longue nuit. Il était rare que la mer soit aussi calme.

Koja s'apprêtait à enfiler une chemise, assez propre pour être encore portée, quand le son d'une cloche retentit, faisant vibrer l'immense bâtiment. La voix rauque de la vigie, affaiblie par la distance et les tintements métalliques, entonna :

— Terre, à bâbord !

Aussitôt, un intense vacarme s'éleva ; le bruit des bottes claquant contre le bois se mélangeait au craquement des mâts, auquel on grimpait pour rabattre les voiles, restées ouvertes toute la nuit. Le navire sortait lentement de sa torpeur.

Koja boutonna à moitié sa chemise d'une main, saisissant de l'autre le lourd manteau de cuir, teint d'un bleu profond, qui avait fait sa renommée. Il tentait de discipliner son épaisse tignasse rousse lorsqu'on frappa à la porte.

— Kyāpan ? appela une voix claire.

Koja attrapa son tricorne avant d'ouvrir la fragile porte, à moitié rongée par le sel et le temps, pour plonger son regard pétillant dans celui du jeune mousse.

— Nous arriverons à Woe dans une heure, Kyāpan. Le quartier-maître vous attend sur la dunette.

— Très bien, beau travail, Aliocha ! répondit-il en s'éloignant, ébouriffant au passage les boucles brunes du garçon.

Un sourire satisfait aux lèvres, Koja rejoignit le pont, répondant d'un geste de la main aux salutations de ses marins, déjà occupés à sortir les immenses rames pour négocier plus facilement l'entrée dans le port. Leur visage, buriné par le soleil du grand large, lui semblaient plus lumineux qu'il y avait quelques semaines. Ses hommes avaient besoin de repos et l'espoir d'enfin pouvoir poser le pied à terre leur avait redonné les forces nécessaires pour terminer convenablement ce voyage.

Koja balaya rapidement le pont du regard. Ils avaient perdu tant de compagnons... Cette expédition avait été un véritable fiasco. Pris au piège entre les humeurs changeantes de l'océan et les attaques aussi fréquentes que violentes des pirates, ils avaient fait de nombreux détours, rallongeant leur périple de plusieurs mois, sans pouvoir accoster et refaire le plein de vivres. Ils avaient tous été malades : scorbut, grippe et fortes fièvres... La moitié d'entre eux y avait succombé.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant