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—  Tu comptes m'en parler ?

Le manche d'une serpillère fermement en main, le dos courbé et la mine sévère, Belén frottait avec hargne le parquet taché. Il soupira et plongea la brosse dans un seau, empli d'eau de mer, qui prenait des teintes vermeilles. La bataille avait été rude : le navire était gravement endommagé et ils avaient perdu une vingtaine d'hommes. Un véritable massacre.

Serrant les dents, Belén tentait de chasser de son esprit les corps déchirés qu'ils avaient jeté par-dessus le bord. Enfermé dans son étroite cellule, les mains et les pieds liés par de lourdes chaînes, le Sarh avait prié chaque nuit pour ne jamais reprendre la mer. Dieu lui avait encore fait défaut...

Belén jeta un regard agacé au corsaire.

Assis sur le bastingage fragilisé, Koja observait ses pieds nus se balancer dans le vide au-dessus des flots paisibles. Il n'avait pas décroché un mot depuis la fin des combats. Redha avait fait de son mieux pour soigner ses blessures. Débordé, il lui avait demandé de garder son bras en écharpe et avait collé sur son nez, encore fragile, un cache de métal. La douleur le tiraillait et la colère qui bouillonnait au fond de ses yeux inquiétait Belén. Lui qui avait subi toutes ses humeurs sans broncher, il n'arrivait pas à saisir ce qui le torturait.

Soupirant de nouveau, Belén se débarrassa de sa serpillère pour aller s'appuyer contre la balustrade.

—  Je t'ai posé une question, reprit-il.

Pour toute réponse, Koja lui jeta une œillade méprisante. Il faisait l'enfant.

Excédé, Belén l'attrapa brusquement par son bras valide et le fit basculer en arrière. Le corsaire lâcha un gémissement de douleur lorsqu'il percuta le sol en un bruit sourd. L'expression choquée qu'il affichait arracha un sourire au quartier-maître.

—  Ça t'amuse ? lança le corsaire en le foudroyant du regard.

— Ton insolence m'aurait presque manqué, marmonna-t-il, amer, avant de demander : Qu'est-ce qui t'arrive Koja ?

Il grimaça et, repoussant d'un geste dédaigneux la main que Belén lui tendait, il se releva. Le Sarh aperçut l'éclat humide qui traversa ses yeux. Chaque effort lui coûtait mais jamais il ne l'avouerait. Son arrogance finirait par le tuer.

Inspirant profondément pour noyer au fond de lui toutes les injures qu'il aurait aimé lui cracher à la figure, Belén s'efforça de prendre un air las.

—  Laisse-moi deviner : tu m'en veux parce que je t'ai volé la vedette en te rappelant, par la même occasion, que tu n'étais rien de plus qu'un être humain ?

Koja se crispa. Il le connaissait par cœur.

Baissant les yeux, le corsaire lui adressa une moue contrariée avant de se diriger vers les marches qui menaient au pont. Il s'échappait et confirmait les soupçons du Sarh. Secouant la tête, dépité, Belén choisi de le provoquer. Il ne comprenait pas pourquoi, mais le silence chagriné de Koja lui pesait.

—  C'est à cause de Jeriko ?

Le corsaire s'immobilisa. Il lui tournait le dos, mais Belén perçut la confusion qui le traversait. Il avait touché juste.

Koja se redressa légèrement et, lorsqu'il pivota pour faire face à son quartier-maître, il s'était composé un rictus amusé, presque moqueur, qui frisait le dégoût.

—  Je t'en prie... Dois-je te rappeler que je suis marié ? ricana-t-il.

Belén plongea dans ses yeux, pétillant d'arrogance, dans l'espoir d'y décelé une pointe de doute ou de peine. Il fut déçu de n'y trouver qu'une bonne dose de mépris.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant