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Constancio enfouis ses mains dans les poches de son manteau.

Debout devant les portes vitrées de la timonerie, Koja lui jeta un regard intrigué. Son immense chapeau à plume plongeait son visage dans l'ombre, ternissant l'éclat de ses yeux bruns. Il avait passé autour de ses hanches une large ceinture, à laquelle il avait accroché un fourreau de cuir bleu. C'était la première fois que le conseiller le voyait porter une arme.

Le soleil avait disparu derrière la ligne d'horizon pour sombrer dans les abysses, laissant l'obscurité peindre le ciel de ses sombres lueurs. Les marins avaient allumés une dizaine de lanternes, dont la lumière se reflétait sur la surface.

Légèrement mal à l'aise, Constancio se racla la gorge avant d'entamer la conversation : 

—  Nous allons être attaqués ? demanda-t-il simplement.

—  Peut-être.

—  Par des pirates ?

—  Probablement.

Troublé par l'attitude du corsaire, le Cintane lança des regards inquiets autour de lui. La mer était calme et une légère brume commençait à s'élever au-dessus de l'eau. Le silence qui régnait sur le navire avait quelque chose d'inquiétant.

—  Vous connaissez Nas'sau ? l'interrogea soudain Koja.

Constancio le dévisagea quelques instants, perplexe, avant de répondre :

—  Je crains que non.

—  Et si je vous parle de Libarāliyā ?

—  La légendaire Cité Pirate ?

Le regard toujours rivé sur les flots, Koja hocha lentement la tête. Parcourant ses traits, figés sur une expression grave, le conseiller comprit brusquement où il voulait en venir.

Libarāliyā n'était pas qu'une légende. Perdue au milieu des eaux de l'Ātmagaḷa samudra, elle noyait dans son ombre pirates, voleurs, esclavagistes, prostituées et assassins. Le Mal et ses disciplines avaient pris racine sur cette île. La Mort y était reine et la Justice, corrompue par ses charmes, s'était crevé les yeux.

—  Nas'sau est le pays des fous. Tout y est permis. Le vol, la violence, le viol... le meurtre. Il n'y a pas de loi, seulement des hommes. Des monstres.

Constancio ouvrit de grands yeux horrifiés. Le sang glacé par ces quelques mots, il n'osait détourner le regard. La voix de Koja se fit encore plus grave.

—  Là-bas tout s'achète, tout se vend. Si l'œuf de Bosh existe réellement, quelqu'un à Nas'sau sait où le trouver.

Les informations que les scientifiques du Roi avaient trouvé dans les archives du royaume, à défaut d'être précises, avaient su convaincre le corsaire. Elles étaient composées en grande partie de dessins fantastiques, un peu trop élaborés pour être fidèles à la réalité, ainsi que d'un nom : Samādhi, le Tombeau des Anges.

Samādhi était une île inhabitée, coincée entre deux continents ennemis. Ce court morceau de terre noire avait été découvert, il y avait déjà plusieurs années, par des navires Luans qui s'étaient engagés dans le détroit du Diable dans l'espoir d'attaquer l'empire de Mauna Kea par le nord. On racontait de nombreuses histoires à son sujet, mais la plus connue de toutes parlait d'une malédiction.

Alors qu'ils s'enfonçaient dans le détroit, une épaisse brume noyant les navires dans sa danse, l'un des soldats aperçut sur la rive rocheuse un enfant aux mains liées, immobile dans la lumière de l'aube. Ses chaînes, en teintant, faisaient un bruit de grelot. Il avait les cheveux d'un blanc immaculé et les yeux transparents. La marque du Diable marquait son visage d'un rouge sombre, comme si elle avait été gravée au fer ardent. Dans son dos, d'immenses ailes se balançaient au rythme de sa respiration.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant