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Les pleurs d'une cloche retentissaient au loin.

Fendant les vaguelettes claires qui tentaient de le retenir, le Riko s'avançait rapidement vers le large. Debout à l'avant du navire, une botte posée sur le Beaupré et son tricorne bien enfoncé sur le crâne, Koja savourait les caresses du vent. Comme à chaque fois qu'il prenait la mer, il s'était avancé vers la poulaine pour tourner le dos au rivage. Il refusait de saluer Vajra : cette ville de malheur ne lui manquerait pas.

Sur le pont, les marins s'agitaient. La voix de Belén recouvrait le vacarme, ordonnant que l'on abaisse les voiles, que l'on rentre les rames et que l'on aille s'assurer que la cargaison avait été suffisamment protégée. Les mains dans les poches, le corsaire sourit. Il n'y avait pas meilleur quartier-maître.

Le regard fixé sur l'horizon, Koja sursauta lorsque les premiers chants emplirent l'air. La terre s'évaporait derrière eux, noyée dans l'écume et la distance.

— Vidāya, je pars pour ne jamais revenir. Vidāya, terre de mes ancêtres ! Je sombre dans les bras de la mer..., entonnèrent les marins en chœur.

Le corsaire écouta attentivement la trentaine de voix qui se mêlaient, s'assemblaient pour faire leurs adieux à la terre. Il esquissa une moue amusée lorsqu'il reconnut à travers le flot de sons le timbre grave de Belén. Le Sarh lui avait souvent reproché de ne pas prendre part à ce rituel, si important aux yeux de l'équipage.

Ce chant était un mensonge. Les hommes qui partaient en mer pouvaient affronter sa colère et ses douleurs, mais Koja savait qu'aucun d'eux n'était prêt à rencontrer la mort. Ils s'imaginaient sûrement tous rentrer à Vajra... Ils payeraient bien trop cher pour cette innocence.

Silencieux, le cœur lourd, Koja attendit que les marins se taisent pour se retourner. La terre avait disparu, l'espoir ne tarderait pas à la suivre. Inspirant profondément pour chasser l'angoisse qui lui nouait la gorge, le corsaire reporta son attention sur le Roi, penché sur le bastingage, un sourire d'enfant illuminant son visage.

Les yeux grands ouverts comme pour ne rien rater, Sa Majesté s'émerveillait. La clarté de l'eau, le parfum de l'écume, l'infinité du ciel, les craquements sourds du navire... Tout était nouveau pour lui, tout lui paraissait beau.

Aussi mal à l'aise qu'inquiet, Constancio tenait ferment le bras du Roi d'une main, s'appuyant sur le mât de misaine de l'autre pour ne pas tomber. Ils n'avaient pas le pied marin et chaque mouvement un peu trop brusque leur faisait perdre l'équilibre.

Koja ne put s'empêcher de rire. Sa Majesté n'était encore qu'un enfant... Il espérait que ce voyage ne l'obligerait pas à grandir trop vite.

Avec un soupir las, le corsaire s'avança jusqu'au Roi, le rattrapant de justesse par les épaules.

— Qui aurait cru qu'il était si difficile de garder les pieds sur terre en mer ? s'exclama-t-il.

— Tout le monde le sait, Mejesi.

Agrippé au mât, Constancio le fusilla du regard, mais ne releva pas l'insulte. Riant à gorge déployée, le Roi s'était retourné pour se pendre au cou du corsaire.

— Tu m'apprendras ?

— Ça viendra avec le temps, répondit Koja, dépassé par cette insouciance maladive.

— Combien de temps ?

— Pour commencer, ne courrez pas sur le pont. Vous allez passer par-dessus le bord.

Le jeune homme ricana de nouveau, incapable d'endiguer le flot de joie qui l'envahissait. Koja se souvenait de son premier départ : l'excitation et le puissant sentiment de liberté qui l'avaient saisi n'avaient rien de comparable à cette extase enfantine.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant