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La nuit consumait les rires étouffés.

Seul sur l'immense balcon, les deux bras appuyés contre la barrière de fer forgé, Koja savourait la douceur du soir. Le ciel s'était paré d'obscurité et aucun nuage ne tachait sa robe étoilée. Une légère brise, provenant du désert, faisait valser la lumière des flambeaux qui illuminait la cour, encore bondée. Les Maunes étaient connus pour leur sens de la fête et cette agitation chaleureuse qui s'étendait jusqu'au milieu de la nuit.

Le cœur lourd, Koja observait d'un regard las les silhouettes des danseurs qui se mouvaient dans les lueurs tamisées. Immobile à ses côtés, Belén fumait en silence, une longue pipe entre les mains. Une odeur de fleur flottait dans l'air. Un parfum sucré, aussi envoûtant qu'écœurant. Dans leur dos, les voix des convives se mêlaient aux mélodies euphoriques que jouaient les musiciens. Certains s'étaient levés et valsaient au rythme des instruments, tandis que d'autres, toujours attablés, riaient à gorge déployée.

Jeriko était allée se coucher. Prisonniers du bon vouloir du fils du Cakravarti, Chad et Constancio étaient toujours aux côtés de Marwan, un sourire de façade éclairant leurs visages fatigués. Aurell et Siegfried, quant à eux, avaient été remplacés par deux gardes Maunes. Ils s'étaient empressés de rejoindre les dépendances, trop heureux d'enfin pouvoir s'asseoir et se gaver. Shih, qui n'avait pas été invitée à la table du futur Empereur, avait disparue depuis plusieurs heures déjà. Les deux hommes se retrouvaient donc seuls sur l'immense balcon.

Inspirant profondément, Belén s'assit sur la rambarde avant de cracher un épais nuage cotonneux.

— Chad a l'air de bien connaître les coutumes Maunes, lâcha-t-il. Pour un gamin qui n'est jamais sorti de sa tour d'ivoire, c'est surprenant.

— Chad est un bon roi, répondit simplement Koja.

Il chassa la fumée d'un geste de la main et, levant les yeux vers son quartier-maître, il demanda d'une voix où valsait le doute.

— C'était une erreur ?

Surpris, Belén leva un sourcil, l'encourageant à poursuivre.

— Accepter la proposition de Chad et repartir en mer après toutes ces années, courir après un pouvoir qui n'existe même pas... Je n'aurais pas dû conserver son corps ?

Une ombre froissa le visage du Sarh. Ses yeux, d'un bleu d'orage, s'accrochèrent à ceux de son capitaine. Une vieille tendresse les faisait étrangement scintiller, comme s'ils étaient remplis de larmes. Des larmes qu'il ne verserait pas. Un léger sourire aux lèvres, il posa sa main sur l'épaule de Koja.

— Tu me crois fou ? murmura le corsaire.

— Ce n'est pas à moi d'en juger.

— Qu'aurais-tu fait à ma place ?

— Rien de mieux, sans doute. A vrai dire, je n'en sais rien.

Déçu, Koja détourna les yeux pour fixer les flambeaux qui vacillaient dans la nuit. La chaleur engourdissait son cœur et la peine qui étreignait son être était encore plus amère que cette joie futile qui secouait le palais.

Inspirant une nouvelle vague de fumée, Belén écouta le silence troublé, avant de reprendre :

— Tu sais, lorsque je suis devenu esclavagiste, j'étais persuadé d'être quelqu'un de bien. Je pensais que mes actes n'appartenaient qu'à moi et qu'en versant du sang, je protégeais ceux que j'aimais.

Le regard plongé dans la mer d'étoiles qui les surplombaient, le Sarh eut un petit rire dépité. Lorsqu'il reporta son attention sur son capitaine, il fut surpris de lire sur son visage un soupçon d'espoir, se dégageant de sa mine taciturne.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant