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Le chant des canons lui faisait vriller l'esprit.

Koja para une attaque et, esquissant une feinte sur le côté, enfonça son sabre dans les chairs d'un pirate. L'homme eut un hoquet de stupeur avant de s'effondrer à ses pieds, les deux mains pressées contre son ventre déchiré. Sa dague fit un bruit sourd lorsqu'elle percuta le parquet taché.

Passant une main sur son front, le corsaire se redressa pour surveiller ses hommes. Les Maunes avaient lancé l'assaut par surprise, les prenant de court. De lourdes haches à la main et la rage au fond des yeux, ils s'étaient déversés sur le pont du Riko en une vague sanglante. Les marins s'étaient fait emporter par ce flot de violence.

Armé de lourdes bouches à feu, le capitaine ennemi avait plongé au cœur de combat pour remonter jusqu'à la timonerie, criblant de balles le gaillard arrière et la dunette où s'étaient réfugier les calfats et le tonnelier. Baignant dans leur sang, les trois hommes avait le visage tourné vers leur capitaine. Leurs yeux, révulsés, semblaient l'accuser en silence.

Le cœur lourd, Koja se détourna pour esquiver la lame rouillée d'un poignard. Camper sur de longues jambes agiles, le capitaine pirate s'était frayé sans peine un chemin jusqu'à lui. Son visage, rongé par une épaisse barbe, était plongé dans l'ombre d'un étroit tricorne, dont le noir d'encre contrastait fortement avec le carmin de son bandana de soie.

Un sourire amusé aux lèvres, le Maune rangea sa dague dans un fourreau de cuir, brodé d'or, avant de retirer son chapeau pour effectuer une courbette maladroite.

—  Samudra Nari, ravi de vous rencontrer, lança-t-il d'une voix étonnamment claire. 

—  A qui ai-je l'honneur ? répondit le corsaire avec arrogance.

L'homme releva la tête, une lueur de surprise valsant dans son regard d'ébène. Se reprenant, il esquissa un large sourire qui étira ses yeux bridés à tel point qu'ils étaient semblables à deux lignes tracées au pinceau.

—  Mon nom n'a guère d'importance. Vous devriez plutôt veiller à conserver le vôtre.

Le pirate afficha une moue contrite que Koja interpréta comme une injure, avant d'ajouter :

—  De corsaire, vous risquez d'être vu comme une figure du passé. De vendu à vaincu, il n'y a qu'un pas...

—  C'est une menace ?

—  Une simple mise en garde.

Un boulet de canon percuta violement la coque du Riko, faisant exploser le bastingage et une partie du pont. Des corps s'élevèrent brusquement, pulvérisés par la détonation. Les cris de douleur, se mêlant aux tintements des sabres, s'immisçaient en Koja. Serrant les dents, il s'efforça à rester concentré sur le capitaine pirate qui semblait à peine atteint par le chaos régnant sur le navire.

—  Cela fait des années que je rêve de rencontrer le célèbre Renard des mers. Je dois t'avouer que je suis un peu déçu.

S'il avait eu son pistolet à portée de main, le corsaire n'aurait pas hésité à tirer pour faire voler en éclat le sourire, chargé de mépris, que le Maune affichait sans crainte. Koja n'avait cependant plus que son sabre et cette insolence, qui s'effritait peu à peu sous les coups de l'angoisse. Se lancer dans un combat au corps-à-corps avec un ennemi qu'il n'arrivait pas à cerner était un pari risqué... Trop risqué si l'homme avait appris que le Roi de Woe en personne se terrait dans l'une des cales du Riko.

Et Koja n'en doutais pas : il le savait.

Jetant un rapide regard à Belén qui tenait la barre d'une main, repoussant de l'autre les attaques d'un pirate estropié, Koja compris qu'il devait gagner du temps. Si leurs ennemis s'emparaient du Riko, il ne donnait pas cher de leur peau. Il leur était impossible de fuir, mais ils avaient l'avantage du nombre.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant