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Jeriko plongea ses mains dans l'eau.

L'obscurité s'était installée dans la chambre. Les hautes fenêtres étaient dissimulées derrière de lourds rideaux de velours, qui étouffaient la lumière de la lune. Le regard fixé sur son reflet déformé, se dessinant sur la surface agitée, Jeriko savourait l'épais silence et les doigts de la solitude qui valsaient sur son visage fermé.

Elle ne pouvait plus se défaire de son masque.

Le temps s'était écoulé si lentement à bord du Riko... Entourée de ces visages, désormais familiers, elle s'était laissée bercée par l'insouciance et cet échec réconfortant dans laquelle elle se noyait. Elle avait oublié. Petit à petit. Et chaque crépuscule endormait ses craintes.

Jeriko avait changé.

Ses doigts dans l'eau glacée froissèrent son reflet, si pitoyable. Elle ne s'était rendu compte de rien... Serrant les dents, la jeune femme retint un juron. D'un geste brusque, elle se pencha et aspergea son visage crispé, comme pour effacer ces traits d'enfant rebelle.

Redha l'avait prévenu. Et, comme à chaque fois, elle n'avait pas écouté. Ses ambitions frustrées pourrissaient en elle, lui faisaient perdre la tête, au point de prendre des risques inutiles. Elle avait tant à prouver... Tant à perdre aussi, si elle continuait à faire la forte tête.

« Pauvre sotte », murmura une voix dans un coin de son crâne. « Il n'y a de la place en ce monde que pour les forts. Les autres peuvent disparaître. »

Jeriko sentit sa gorge se nouer et ferma ses paupières pour endiguer les larmes qu'elle refusait de verser.

« Si tu t'obstines à n'être que l'ombre de celle que tu pourrais être, tu peux disparaître avec eux. »

Un sourire amer étira ses lèvres. Elle avait beau partir loin, sans un mot et pour longtemps, elle avait beau se bercer d'illusions ou changer sa réalité, tenter d'oublier... Rien n'y faisait. L'ombre de sa mère se glissait dans son dos et lui murmurait ses milles conseils. Elle s'immisçait en elle aussi facilement que le doute et décimait ses convictions d'un geste de la main. Un seul regard et Jeriko redevenait cette enfant aux rêves usés qui ne vivait plus que pour faire partie des forts. Une petite fille ordinaire, terrifiée à l'idée de n'être personne.

Plongeant de nouveau les mains dans le petit lavabo de marbre, Jeriko mouilla ses joues et son front. L'eau, vivifiante, emporta le sombre adage de sa mère. Elle ne devait pas y penser, pas encore. Relevant les yeux, elle s'observa quelques instants dans le miroir, avant de lâcher un soupire.

Le voyage était terminé. L'infinité de l'océan s'était évaporée, remplacée par les barreaux d'une cage dorée.

Jeriko inspira profondément.

Ivre d'une liberté qu'elle n'avait fait qu'entrevoir, elle devrait désormais sombrer dans les ténèbres, explorer les cauchemars de son enfance, à la recherche des monstres qui lui avait volé son cœur.

Ses mains se mirent à trembler. Jeriko serra les poings. Elle ne craignait pas les forts. Elle avait accepté que ses mains aient la couleur du sang.

Leur sang.

Déboutonnant rapidement sa chemise, elle se déshabilla et enfila une longue robe de chambre en soie. Les yeux fixés sur son reflet, elle libéra ses cheveux abîmés. Elle avait l'air d'une princesse. Les broderies dorées qui dessinaient le col de sa robe se mêlaient à l'éclat de ses cheveux blonds et sa peau, rougie par la fraîcheur de l'eau, lui donnait des airs de poupée. L'illusion était presque parfaite. L'éclat de rage qui brillait dans le fond de ses yeux ternissait le merveilleux portrait.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant