La flamme de la bougie valsait avec la légère brise du soir.
Allongé dans un épais hamac de toile rêche, Koja savourait le silence qui régnait sur le navire, entrecoupé par le clapotis des vagues s'écrasant contre la coque. Les bras repliés sous sa tête en guise d'oreiller, le corsaire avait ôté son manteau et ses bottes. Il se balançait doucement, prenant appui sur l'une des caisses que les dockers avaient entassé dans le coin de la timonerie. N'arrivant pas à trouver le sommeil, il observait Belén qui, installé à la large table de navigation, recalculait l'itinéraire du Riko. Le Sarh lui tournait le dos, mais Koja pouvait apercevoir les traits de son visage, éclairé par la lanterne.
Il avait beau connaître par cœur cette face sévère à la mâchoire anguleuse et au nez un peu trop droit, Koja était encore surpris lorsqu'il tombait sur ce regard d'un bleu aussi profond que celui des abysses. Un noir avec des yeux clairs... Sur terre, Belén était pire que le diable. Il n'était humain qu'au beau milieu de la mer.
Avec un soupir agacé, le Sarh attrapa le compas et se pencha un peu plus sur la carte. Koja admirait cette patience infinie dont il faisait toujours preuve. Son audace et son désir de vaincre l'avaient propulsé à la tête de puissants navires pirates, pourtant Koja n'était rien sans un bon quartier-maitre. Dans son ombre, Belén était sa voix et le courage qui lui manquait parfois. Il était ce lien, infime mais si solide, qui lui permettait de ne pas sombrer dans les bras de souvenirs fanés. La corde qui lui évitait la chute. La corde qui le pendrait peut-être un jour...
Chassant ses sombres pensées d'un sourire, Koja se redressa et ouvrit la bouche pour rompre le silence, lorsqu'on frappa aux portes de la timonerie. Belén sauta de sa chaise et, devançant son capitaine, alla ouvrir les portes fenêtres qui retenait le peu de chaleur créée dans la pièce.
Noyé par l'obscurité, une fine couverture jetée sur ses épaules, Redha salua le quartier-maître d'un geste de la main avant de demander à l'attention de Koja :
— Je suis prêt, Kyāpṭan.
Sans prendre la peine de remettre ses bottes, le corsaire enfila son lourd manteau de cuir et suivit le Dēha sur le pont. Comme le conseiller du Roi, Redha faisait partie de l'Ordre des Alaiv, surnommé « l'Ordre des Vivants » par les classes populaires. À défaut de pouvoir agir sur l'esprit d'autrui, il avait le pouvoir de soigner n'importe quelle blessure. Coupures, brûlures, déchirures, Redha savait effacer la moindre douleur, allant jusqu'à réparer les fractures les plus graves. Dès son plus jeune âge, il s'était consacré aux autres. Dès la révélation de son don, Redha avait su qu'il deviendrait médecin et qu'il en mourrait. Utiliser la magie avait un prix. Personne ne le comprenait mieux que les Dēha.
Alors qu'ils descendaient sur le faux-pont pour accéder aux cabines, Koja jetait des coups d'œil curieux au médecin. Il avait toujours été impressionné par les Alaiv. Tous ceux qu'il avait croisé jusqu'à aujourd'hui avaient la tête haute et cette éternelle gentillesse dans le regard. Comment pouvait-on être aussi digne ? Comment pouvait-on sacrifier sa vie pour les autres, sans jamais faillir ni haïr ?
Remarquant le trouble qui l'habitait, Redha adressa un sourire à son capitaine, le devançant dans les escaliers. Koja, qui avait la réputation d'être aussi narcissique qu'égoïste, maudit les Dēha et leur bienveillance de façade. Il ne pouvait pas croire qu'un être humain accepte de se consacrer ainsi aux autres, sans rien demander en retour. Personne ne pouvait faire preuve d'une telle bonté.
— Pourquoi as-tu embarqué avec nous ? demanda enfin Koja, alors qu'il arrivait en bas des escaliers.
— Vous cherchiez un médecin.

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Samudra Nari [EN PAUSE]
Fantasía« Renard trop rusé pour tomber dans le premier piège, mais pas assez pour éviter le second. » Les légendes possèdent toujours une part de vérité, du moins, c'est ce qu'il croyait. Corsaire reconnu et émissaire personnel de Sa Majesté, Koja rentre un...