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— Qu'est-ce qu'il y a derrière cette porte ?

Jeriko haussa les épaules. Les bras croisés sur sa poitrine, Shih était appuyée contre le mur et la fixait avec insistance. Ses prunelles d'ébène scintillaient dans l'ombre tamisée du couloir.

— Je ne sais pas, répondit Jeriko, méfiante. Koja m'a interdit d'y entrer.

Shih esquissa un sourire méprisant qui lui fit grincer des dents. Si la Maune s'était faite discrète après avoir signé son Chasse partie et intégré l'équipage, elle était de plus en plus arrogante depuis qu'elle avait sauvé Sa Majesté des griffes des pirates de Nas'sau. Ses pirates. 

Elle était douée. Jeriko ne pouvait le nier. Son agilité et son audace n'avaient d'égal que sa beauté, et elle n'avait jamais vu de femme aussi belle. Avec sa peau de porcelaine, sa chevelure de jais et ses grands yeux noirs étirés, aussi fins d'un trait dessiné au pinceau, Shih avait la grâce d'une danseuse et le port d'une reine. Même la longue cicatrice qui barrait sa joue gauche n'arrivait à ternir cet incroyable portrait. Une aura mystérieuse émanait d'elle, un mélange entre douceur et menace. Une aura qu'elle ne connaissait que trop bien. Une aura que dégageait aussi Koja.

Des prédateurs.

Jeriko referma la porte de sa cabine pour se tourner vers la Maune. Elle devait se méfier.

Koja s'était joué d'elle. Sans qu'elle ne s'en rende compte, il l'avait apprivoisé et avait fait d'elle un petit animal docile. Aveuglée par ses sourires et cette tendresse qui faisait vibrer sa voix, Jeriko avait baissé sa garde.

Son cœur, resté à découvert, battait pour lui lorsqu'il y avait planté ses crocs.

La gorge nouée, Jeriko s'efforça d'évincer le corsaire de ses pensées, rougissant malgré elle. Shih, à l'affût telle un chasseur pistant sa proie, leva un sourcil.

— Tu sais, commença-t-elle d'une voix suave, mais ferme. Si tu veux qu'il cesse de te considérer comme une enfant, arrête de lui obéir au doigt et à l'œil.

Piquée à vif, Jeriko balbutia une réponse que la Maune balaya du revers de la main.

— Tu as envie de savoir ce qui se trouve dans cette cabine ? poursuivit Shih, en plongeant son regard dans le sien.

— J-je... À vrai dire...

La jeune femme eut un mouvement agacé, qui irrita Jeriko. Elle refusait d'admettre que ses mots l'avaient aussi profondément touché.

— Oui, finit-elle par lâcher.

— Bien. Entre.

Jeriko hésita. Elle s'avança pour faire face à la porte, effleura de ses doigts la poignée. Elle avait l'impression d'être une enfant, bravant l'interdit, le cœur battant et les paumes moites. Et elle détestait ça.

Serrant les dents, Jeriko s'efforça de réprimer son angoisse. D'un geste empreint de colère, elle abattit la clenche et poussa la porte, qui émit un gémissement déchirant.

Jeriko se figea et plongea dans un regard d'ébène.

Les yeux d'Inaya.

Immobile au pas de la porte, Jeriko se sentit sombrer au fond d'elle-même. Dans son dos, Shih s'était approchée et souffla quelques mots en maune. Une prière pour cette déesse déchue, enfermée dans son cercueil d'ambre.

Elle était belle. Enveloppée dans sa robe de mariée rouge, dont les plumes pétrifiées semblaient caressées par une brise invisible, la jeune femme avait les mains croisées sur sa poitrine. Sous ses doigts, tachés d'un liquide terne, un immense gouffre ouvrait sa peau brune. La Mort s'échappait de ses yeux, si noirs, ouverts sur un autre monde ou un autre temps.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant