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Koja réprima un bâillement ennuyé.

Vautré sur une méridienne aux coussins de soie, les deux pieds posés sur une table basse recouverte de plateaux d'argents à moitiés vides, le corsaire observait distraitement la foule euphorique qui se mouvaient aux rythmes de la musique. A l'aise dans son large sarouel de soie bleue, il remuait le thé à menthe brûlant qui refroidissait dans le fond de sa tasse. Assis à ses côtés, le dos courbé et les deux coudes posés sur ses genoux, Constancio fixait le bout de ses babouches en cuir. Ses yeux s'agitaient derrière le verre de ses lunettes.

Koja poussa un soupir, avant d'avaler une gorgée de thé.

— Il fait une chaleur à crever, mais ils ne peuvent pas s'empêcher de servir leur foutu thé, marmonna-t-il en jetant un coup d'œil au fond de sa tasse.

La salle était aussi bruyante qu'étouffante. Kaftans, djellaba et robes de soie se mêlaient en une explosion de couleurs sous l'immense lustre en fer forgé. La lumière vacillante des flambeaux se reflétaient sur leurs motifs brodés au fil d'or. Au cœur de cette foule ivre, une dizaine de danseuses aux costumes scintillants intimaient le mouvement, se laissant porter par les plaintes langoureuses du kamanja. L'archet, glissant sur les cordes de l'instrument, semblait répondre aux appels enjoués du qanun, sur lequel valsait les doigts d'une femme aux traits tirés par la fatigue.

Koja ferma un instant les yeux.

Il détestait cette agitation, presque maladive, qui tournoyait tout autour de lui. Il avait l'impression d'étouffer, de se noyer dans la joie des autres. De n'être personne au cœur de cet océan de vies éclatées.

La mâchoire crispée par l'agacement, Koja passa une main sur son visage moite et jeta une œillade intriguée à Constancio, toujours immobile. Le corsaire esquissa une grimace, avant de siffler pour attirer son attention.

— On t'a déjà dit que tu étais de très mauvaise compagnie ?

Constancio le fusilla du regard. Koja ricana et lui donna une tape à l'arrière du crâne. Irrité, le conseiller se redressa et se laissa tomber contre le dossier de la méridienne.

— Qu'est-ce que tu veux ? grogna-t-il.

— Je m'ennuie.

Constancio fronça les sourcils, mais fut surpris d'apercevoir une lueur de compassion poindre dans son regard. Gêné, il rougit légèrement et détourna les yeux. Il y eut un bref silence, encombré par le fracas de la fête.

— Où est Chad ? demanda Koja.

— Dans sa chambre. Avec Marwan.

Le corsaire leva un sourcil surpris, mais ne fit aucun commentaire. Jouant distraitement avec l'anse de sa tasse désormais vide, Koja réprima l'amertume qui lui brûlait la langue et se concentra sur les musiciens, qui s'acharnaient sur leurs instruments. Et, alors que Constancio ôtait ses lunettes pour les nettoyer avec la manche de sa tunique, Koja ne put s'empêcher de marmonner :

— Tu devrais lui dire.

Constancio suspendit son geste. Pétrifié par ces quelques mots, il observa longuement son reflet dans le verre de ses lunettes, avant de lâcher un rire dépité. Un rire, sans joie, chargé de rancœur.

Koja se sentit chavirer.

L'expression résignée, presque apaisée, qui colorait le fond de ses yeux le troublait. Esquissant un sourire amer, il se redressa et croisa les jambes en tailleur. Rien ne le révoltait plus que cette patience infinie qui habitait le Cintane en permane. Il ne supportait ni sa bonté excessive, ni cette manie de se fondre dans l'ombre des autres pour se faire oublier.

Samudra Nari [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant