Chapitre 39

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- Aloïs n'est pas dans sa chambre.

Ciel, qui marchait tranquillement vers le service de réanimation, s'arrêta et se retourna brusquement vers l'infirmière.

- Qu'est ce qu'il se passe ? Il y a un problème ? Il a fait un arrêt ? Il...

- Il va bien, ne t'en fais pas. Il est dans la salle de repos des titulaires.

- Quoi ? Pourquoi ?

- Il y a eu un problème avec une transfusion et on attend le service médical d'un autre hôpital, donc il est plus ou moins en train de surveiller l'organe. Mais va le voir, il sera content de te voir.

- C'est un bon jour alors ?

Certains jours, qu'on pouvait qualifier de bons, Aloïs allait bien, il était fidèle à lui même. D'autres, il ne parlait pas, augmentait au possible sa dose d'antidouleurs et de somnifères et essayait de dormir, sans prêter d'attention à son petit ami. Alors il redoutait ces jours là. Qui devenaient de plus en plus réguliers. La dernière fois où le blond avait été lucide semblait s'être déroulée des siècles auparavant, même si en réalité elle datait de cinq jours.

- C'est un très bon jour.

Ciel sourit et remercia l'infirmière avant de rejoindre la salle de garde. Il entra dans la pièce et vint s'asseoir à côté d'Aloïs. Le blond était assis sur son fauteuil roulant, branché à sa perfusion, et il avait le regard fixé sur... sur quoi exactement ?

Le plus âgé suivit la direction de son regard et vit qu'il observait une boîte transparente. Il fronça brusquement les sourcils en réalisant ce qu'il y avait à l'intérieur et reporta son attention sur Aloïs.

- Ce n'est pas ce que je pense, quand même ?

- Si tu penses que c'est un coeur relié à des tuyaux enfermé dans une boîte en plastique stérilisée, alors tu as raison.

- Oh, ça y est, ils t'ont rendu fou. On retourne dans ta chambre.

- Je ne bougerai pas de là.

- Donc tu vas vraiment rester regarder un coeur ? En plus d'être dégoûtant, c'est une perte de temps.

- Tu sais ce qu'il se passe dans une transplantation cardiaque ? Le coeur du donneur est mis dans de la glace, et il meurt. On le transporte dans un autre organisme, on le réchauffe et on espère qu'il va se remettre à battre. Mais ce coeur là n'est jamais mort. Il n'a jamais cessé de vivre, et au moment où je te parle, il vit encore. C'est un miracle, et moi j'ai la chance de pouvoir le voir. Je peux voir un coeur qui bat seul, sans être relié à un organisme. Il vit pour lui même, et pas pour un corps. Alors je vais rester le regarder. Et tu vas le regarder avec moi aussi longtemps qu'il faudra pour que tu te rendes comptes de sa valeur. Avant toute protestation, je t'aime.

Ciel soupira, et après un dernier regard au blond, qui n'avait jamais été autant lui même qu'à cet instant, il observa l'organe qui se trouvait devant lui. Et étonnamment, après quelques secondes de scepticisme, il se laissa hypnotiser. Chaque battement, chaque veine, chaque détail lui paraissait incroyable.

La pulsation rythmée le subjuguait. Et il compris ce que son petit ami voulait dire. Ce coeur représentait la vie. Et tant qu'il était là, qu'il battait, le monde existait et vivait avec lui.

Ciel glissa sa main dans celle d'Aloïs, qui sourit légèrement. Il savait que Ciel avait compris. Qu'il se rendait compte de la valeur de la vie, et que chaque moment était un trésor à chérir.

- Il faut vraiment que j'arrête de te côtoyer. Parce qu'admirer un coeur pendant des heures, c'est flippant. Mais je n'arrive pas à détourner le regard.

- Je comprends. J'ai toujours rêvé d'assister à une opération. Malheureusement, la carte muco ne marche pas pour ça.

- Tu veux vraiment regarder des gens trifouiller des organes ?

- C'est un truc à faire avant de mourir. Et arrêtes de me regarder comme ça dès que je parle de ma mort.

- Je vais sauter de joie à la place. Tu connais le chemin jusqu'aux salles d'opérations ?

- Oui, mais...

- Génial. On part en balade !

Aloïs éclata de rire alors que Ciel tirait son fauteuil dans le couloir. Il le guida jusqu'à un des observatoires et ils s'approchèrent de la vitre. Heureusement pour eux, la salle était vide, donc ils ne risquaient pas de se faire prendre. Du moins pas tout de suite.

- Opération cardiothoracique. On a de la chance, c'est un des meilleurs services.

Ciel eut un léger sourire et regarda les chirurgiens s'affairer, jusqu'à ce qu'il soit pris d'un malaise. Un flash apparut devant ses yeux, et il se vit, allongé sur la table, le torse ouvert. L'électrocardiogramme à ses côtés s'emballaient et les médecins lui faisaient un massage cardiaque. Il entendit vaguement le bruit d'un défibrillateur avant de revenir à lui. Il était allongé au sol, le blond assis prêt de lui, lui caressant les cheveux d'un air inquiet. Sa vision était trouble et un bourdonnement persistait à ses oreilles.

- Est ce que ça va ? Tu veux que j'appelle les infirmiers ?

- Non, ça va. Regardes plutôt ton opération.

- Ils ont touchés l'aorte, il est mort. Mais c'est pas important. Les malaises peuvent être dus à énormément de pathologies, et des très graves.

- Je vais bien.

- Tu es pâle, on devrait appeler quelqu'un. Un médecin peut t'examiner, ça ne prendra pas longtemps.

- Hey... ça va. Je dois manquer de sucre et j'ai fait une crise d'hypoglycémie, c'est tout. Je vais juste attendre un peu et tout ira bien. Je me sens déjà beaucoup mieux.

Ciel passa sa main contre la joue du blond et l'attira à lui pour l'embrasser. Ça faisait trois semaines qu'ils ne le faisaient plus. Et ce contact lui avait manqué.

- Tu m'as fait peur.

- Je suis désolé.

- Je dois être le premier à partir alors ne me voles pas ce rôle. Je ne le supporterai pas.

- Je sais.

Ils se regardèrent quelques minutes avant qu'un infirmier entre et les fasses sortir. Ils retournèrent dans la chambre d'Aloïs, ce dernier se rebrancha sur son respirateur et il se logea dans les bras du bleu.

- Je t'aime.

Pour que ton souffle ne s'arrête pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant