Chapitre 44

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- Encore une fois.

- La mère d'Aloïs m'a envoyé un message à vingt trois heures cinquante trois en me demandant de venir à l'hôpital parce que c'était grave. Je suis arrivé là bas dix huit minutes après. Aloïs venait de passer des examens pour évaluer sa capacité respiratoire et il attendait les résultats. Il avait fait deux arrêts dans la soirée et les médecins ont eu du mal à le réanimer. On a eu les résultats à minuit treize. Ses poumons ne pouvaient fonctionner qu'à six pourcents et les médecins ont décidé que ce n'était plus suffisant et que les machines n'arrivaient plus à compenser. Ils ont dit qu'il n'y avait que deux options : soit ils endormaient Aloïs, soit ils attendaient mais il allait souffrir du manque d'oxygène. Aloïs a lui même choisi. Il a dit qu'il ne voulait pas attendre sans savoir combien de temps il lui restait, sans savoir la manière dont il allait partir. À une heure quarante six, ils lui ont injecté de la morphine. L'électrocardiogramme s'est arrêté, l'apport d'air a été coupé et sa poitrine ne s'est plus soulevée.

- Encore.

- J'ai reçu un message à vingt trois heures cinquante trois disant que je devais venir. Aloïs avait fait deux arrêts et sa capacité respiratoire a chuté à six pourcents. Les machines n'arrivaient plus à lui donner assez d'oxygène pour qu'il respire normalement. Les médecins ont proposé d'endormir Aloïs pour ne pas qu'il souffre et il a accepté. Ils lui ont donné de la morphine, son coeur a arrêté de battre, il a arrêté de respirer et il est mort.

- Encore.

- Il est mort. C'est tout ce qu'il y a à retenir.

- Encore.

- Tu ne le ramèneras pas comme ça. Ça ne te servira à rien de souffrir, il est mort.

- Encore !

- ... J'ai reçu un message de la mère d'Aloïs parce que l'état d'Aloïs s'était empiré et que je devais venir à l'hôpital le plus vite possible. Sa capacité pulmonaire était descendue à six pourcents et il ne pouvait plus s'oxygéner suffisamment. Il avait fait deux arrêts cardiaques dans la soirée et il avait eu du mal à être réanimé. Le manque d'oxygène provoque une déficience organique, donc il allait perdre un à un tous ses organes, en finissant par son cerveau et son coeur. Les médecins ont annoncé que c'était préférable d'arrêter son rythme cardiaque dans l'immédiat plutôt que d'attendre et de le faire souffrir. Aloïs a préféré une mort rapide et contrôlée. Ils lui ont injecté de la morphine à une heure quarante six. Son coeur a arrêté de battre, son sang n'a plus circulé jusqu'à son cerveau et il n'a plus respiré. Il est mort à une heure quarante neuf.

- Encore.

- Il a dit qu'il t'aimait de tout son coeur et qu'il était désolé pour ce qu'il allait faire, pour ne pas te l'avoir dit. Il ne voulait pas te faire de mal, et il a dit qu'il partirait tranquille si il savait que tu n'étais pas là pour le voir. Il a dit qu'il t'aimait. Il t'a aimé jusqu'à la fin. Il t'aime et il est désolé pour tout ce qu'il a fait. Il t'aime. Ses dernières pensées ont été pour toi, parce que tu es la personne qui compte le plus à ses yeux. Il t'aime.

- Il m'aime.

- Et il est mort. Il faut que tu le dises.

- Je ne peux pas.

- Dis le. Tu te sentiras mieux.

- Je refuse de dire que mon petit ami est mort ! Ça, ce n'est pas mon rôle !

- Ce n'est pas le mien non plus.

- Alors c'est dommage, parce que tu ne sers plus à rien. Dégages.

- Ciel...

- Sors d'ici tout de suite !

Le bleu désigna la porte d'un grand geste du bras et se détourna d'Arthur, qui après une seconde d'hésitation, sortit. La respiration de l'adolescent se fit haletante, et il posa une main sur son flanc, une autre sur son bureau pour se soutenir.

Sur ce bureau se trouvait une photo d'Aloïs et lui. Mauvais emplacement. Il l'attrapa d'un geste brusque et la lança contre le miroir mural, qui se brisa. Il s'en approcha et le jeta à son tour au sol, provoquant une explosion de milliers de morceaux de verre sur la moquette. Finny entra, interpellé par le bruit, et s'approcha doucement de Ciel. Ce dernier se retourna en l'entendant, le visage rempli de larmes, les mains tremblantes.

Il fit un pas vers le blond et s'écroula dans ses bras, empoignant son t-shirt de toutes ses forces. Ils se retrouvèrent assis au sol l'un contre l'autre, la tête du bleu sur le torse de son meilleur ami, pendant qu'il déversait toutes ses larmes.

Il ne sut pas combien de temps ils restèrent ainsi. Il savait seulement que ses pleurs avaient fini par se tarir, à l'exception de quelques sanglots qui lui traversaient parfois la gorge, et qu'il était resté contre Finny. Ce dernier ne lui avait pas posé de question, n'avait pas essayé de le consoler par quelques paroles stupides, ce qui était d'une certaine manière plus réconfortant qu'un long discours psychologique sur le deuil.

Au bout d'un long moment, il entendit la porte s'ouvrir, et il vit des pieds s'approcher de lui. Les genoux appartenant à la prolongation de ces pieds se fléchirent à côté de lui et il sentit des bras l'attraper. Il changea donc de position et s'installa contre le corps de son père, qui le serra contre lui de toutes ses forces.

- Papa...

Vincent marqua un temps d'arrêt, surpris que Ciel l'appelle ainsi. Papa. Cela faisait des années qu'il n'y avait plus le droit, à cette marque d'affection, à ce petit surnom pourtant habituel pour les autres. En d'autres circonstances, il en aurait sûrement été ravi. Mais sans Aloïs, son fils ne lui serait jamais revenu. Alors il ne pouvait pas être heureux.

S'interdire d'être heureux. C'était ce que faisait toute personne endeuillée. Il essayait de ne pas être heureux, à aucun moment, parce qu'il pensait qu'il n'en avait pas le droit. Et quand le contrôle lui échappait et qu'il ressentait de la joie, qu'il oubliait pendant plusieurs instants la mort douloureuse d'un proche, il s'en voulait.

Personne n'échappe à la règle.

Pour que ton souffle ne s'arrête pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant