2102 Nautilus, météorite AQ308

3 0 0
                                    

L'enfer c'est être seul.

L'espace disponible pour Ava Kayani s'était encore restreint. Le manque d'énergie l'obligeait à rester enfermée dans la pièce de vie centrale, la seule où la température était encore supérieure à 0°. Il ne restait presque plus de vivres, ni beaucoup de réserves en eau, mais c'était probablement la panne du système d'épuration de l'air qui la condamnerait en premier.

Dommage, Djinn ne pouvait plus donner de probabilités sur ce qui la tuerait, il était déconnecté depuis deux mois, faute d'énergie. Même le robot de compagnie avait fini par être affecté par le froid de la pièce et le manque d'énergie de la base, il reposait sur le dos au milieu de la pièce. Un bref regain d'énergie lui permit de rallumer ses diodes vertes. D'un mouvement convulsif, il réussit à décoller de nouveau puis effectua une rotation complète.

- Madame, les conditions que je détecte sont peu propices à la vie humaine. Je n'arrive pas à contacter les secours. Je préconise l'abandon de la maison.

- Merci Persépolis, tu m'aides beaucoup là !

Cet idiot de robot n'avait pas tort. Pourquoi s'obstiner à vivre ? Cela n'avait aucun sens, pourtant à aucun moment la pilote ne songea à accélérer le processus inéluctable qui devait rendre à l'astéroïde AQ308 sa tranquillité. Peut-être le sentiment d'être le dernier humain du système solaire lui imposait cette obligation de vivre à tout prix, au nom de tous les autres qui n'avaient pas eu ce choix ? Elle repensait à un cours d'astrophysique de l'université des étoiles de Téhéran où elle avait entendu pour la première fois la chronologie de l'univers selon Carl Sagan :

« Si on mettait l'âge de l'univers sur une année, le big bang étant le premier janvier à minuit, et aujourd'hui le trente-et-un décembre à vingt-trois heures, cinquante-neuf minutes et cinquante-neuf secondes, la Terre serait apparue le trente-et-un août, la disparition des dinosaures aurait eu lieu hier matin trente décembre et les grottes de Lascaux peintes il y a seulement trente-trois secondes. »

C'était une démarche intellectuelle difficile pour un humain que de se représenter sa place réelle dans l'univers, mais celui-ci s'était chargé de cette tâche en leur signifiant qu'il existait avant homo sapiens et qu'il lui survivrait.

Sous un amas de couvertures pas bien épaisses, faiblement éclairée par des leds à bout d'énergie, Ava cherchait à entrainer son esprit vers des pensées plus heureuses mais rien n'y faisait, la proximité de la mort teintait déjà tout son imaginaire de tristesse et de regrets. Elle ne pouvait pas penser à ses parents, à ses deux frères ou à sa grand-mère sans imaginer des crânes la fixant et des ossements blanchis sous ses pieds, seul trace de leur existence dans ce monde maintenant. Elle aurait préféré finir avec eux, tous serrés les uns contre les autres jusqu'à la fin. Au lieu de cela, c'était à elle de porter le fardeau de leur mort. Ce robot de compagnie, que son père avait acheté pour diminuer le sentiment de culpabilité qu'il ressentait pour laisser sa propre mère vivre seul, était tout ce qui la rattachait encore à ses origines. Son dernier lien avec la Terre était Persépolis. Tout le reste de son être appartenait maintenant à l'espace, au néant, à AQ 308. Jour après jour, inlassablement, les paroles du robot qui se croyait toujours dans le monde d'avant entretenait la petite flamme de son passée, sauvait son âme du vide de l'espace.

Tout d'abord, elle ne prêta absolument pas attention aux bruits sourds, atténués par l'épaisseur de la lourde porte qui reliait la pièce de vie au reste de la base. C'est l'intensité de la lumière, augmentant rapidement et rendant à la pièce son aspect habituel, qui lui fit prendre conscience du changement en cours. Imperceptiblement, la température de la pièce augmentait alors que le système d'aération soufflait maintenant un air chaud et pur. Maintenant qu'Ava y prêtait attention, elle pouvait ressentir l'ensemble de la base qui reprenait vie et l'écran de l'ordinateur Djinn s'alluma de nouveau, faisant défiler les lignes de code propre à son initialisation.

Xeno-mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant