2115 Titan

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Certains disent que Dieu n'existe pas, que ce qui nous est arrivé en est la preuve. Moi je dis que ce qui est arrivé est la preuve de l'existence d'une entité supérieure. Imaginez que le rayon gamma frappe la Terre cinquante ans plus tôt : nous ne serions plus là pour en discuter. Dieu ne joue pas aux dés. 

Précis d'histoire de l'ère post-terrienne Professeur Rasolomano

Ava se tenait sous une forte pluie de méthane, bien protégée dans sa combinaison spatiale. La trêve que leur avait accordée leur dernière victoire avait permis de sécuriser partiellement la surface de la planète. Les conditions extrêmes du satellite avaient fait le reste, usant prématurément le mécanisme des robots tueurs de Siamois. Elle était tout de même accompagnée de deux kunkuru warrior, ces robots équipés d'un canon électro-magnétique sur tourelle et produits sur Jupiter. Cette présence vigilante lui pesait, même si elle en comprenait la nécessité. L'armée crée par Abedi n'avait finalement servi à rien, aucun robot n'avait été lancé sur Jupiter. Siamois n'avait utilisé que des bombes nucléaires pour frapper les infrastructures de la géante gazeuse. Un certain nombre de ces guerriers de métal avaient donc été transféré sur Saturne ainsi que dans la nouvelle base que construisait Mosi, seul sur sa météorite.

Des éclairs ravageaient le ciel et des grosses flaques autour d'elle recouvraient le sol rocailleux, ne laissant en surface que les épines rocheuses proéminentes. Ces rochers qui sortaient du liquide glacé en élevant leurs pointes acérées vers le ciel ressemblaient à la colonne vertébrale de gigantesques sauriens. Un peu plus loin, partiellement masqués par la pluie, des massifs montagneux de hauteur moyenne se découpaient dans l'horizon. Les éclairs venaient jaunir l'atmosphère de Titan, et le bruit de la pluie dans les flaques de méthane, retransmis par ses écouteurs, était une chanson douce à ses oreilles. Tout à sa contemplation, elle n'avait pas vu Tien qui se plaça juste à ses côtés, entre les deux robots qui faisaient office de chiens de garde.

- On m'avait dit que je te trouverais ici annonça l'ingénieur. Il n'y a que toi pour sortir avec un vent pareil. Une bourrasque a failli me mettre par terre et je ne vois presque rien avec toute cette pluie sur ma visière. Mais toi, fille des éléments, tu ne crains pas tous ces petits tracas que connaissent les êtres normaux.

- Nous ne sommes pas normaux, ni toi, ni moi. A moins que nous ne soyons maintenant la norme et que les humains mortels ne le soient plus.

- Crois-tu que maintenant que nous sommes tous les deux immortels, notre amour le sera aussi ? demanda Tien en continuant prudemment à regarder devant lui afin d'éviter de croiser le regard de la fille des éléments.

- Je crois surtout que c'est en se posant cette question que notre amour ne sera pas éternel, répondit vivement la pilote.

- Excuse-moi, se reprit elle, je suis préoccupée à propos de Natacha, elle ne s'occupe plus des humachines. Ils sont livrés à eux-mêmes maintenant. J'ai su que tu as passé du temps avec eux, ils en ont besoin ; ils sont perdus. Pour eux, la mort n'existait pas jusqu'à cette bataille. Quand ils ont commencé le combat, c'était comme en simulation, ils ne faisaient pas la différence. En simulation il n'y a jamais de morts, le spectacle de leur camarade éventré en pleine espace les a tous traumatisés. Finalement, ils sont plus humains que machine sur cet aspect. Et moi, j'ai l'impression de perdre mes amis. Diounout est morte, Mosi m'en veut pour cela et avec Francisco, nous nous sommes évités sur le trajet du retour. Il était effondré par la mort de Diounout, moi pas. Je l'ai pleuré, puis je suis passé à autre chose. Crois-tu que notre immortalité nous sépare des autres ?

Tien poussa un profond soupir et laissa un long silence s'installer avant de répondre.

- Ma famille a toujours été au service de valeurs plus grandes qu'elle : l'état, la nation, le monde. J'ai acquis l'immortalité dans ce monde-là, maintenant que je suis et que je resterai le dernier descendant de Confucius, je n'ai d'autre destin que moi-même. Alors bien sûr, je m'enorgueillis d'être important, reconnu, admiré pour ce que je fais, mais la vérité, c'est que tout ça me touche peu. L'avis des humains m'indiffère de plus en plus. Tu commences par ne pas vouloir écouter leurs doléances sur un genou qui fait mal ou des cheveux blancs qui apparaissent, puis finalement, tu ne les écoutes plus car, en vieillissant, ils perdent leurs rêves, et toi, avec ton immortalité, tu continues à rêver ta vie. Petit à petit, tu ne partages plus rien avec ceux qui arrivent avec une autre culture, ni avec ceux qui s'en vont et qui sont centrés sur leur petite personne. Alors, tu te retrouves seul, et ce détachement vis-à-vis de l'humanité renforce ton sentiment de supériorité par rapport aux simples mortels. Je crois que c'est inévitable.

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