Xeno-mondes

2107 Base minière de Tros, Ganymède

J'ai la force de calcul la plus puissante qui soit et pourtant à mes yeux l'avenir n'existe pas. 

Template, "échanges avec un robot". Mécanicus Allan Colleman. 

L'attente ne fut pas longue pour les deux captifs. Quelques heures après leur internement dans la base minière principale de Ganymède, des bruits sourds évoquant des tirs de fusils électro-magnétiques les réveillèrent d'un sommeil troublé et peu réparateur. Tous les deux étant restés habillés, ils n'eurent qu'à remettre leurs chaussures pour être prêt. Les deux Titaniens se postèrent chacun d'un côté de la porte de leur cellule, Gomez tenant la bouteille en verre au-dessus de sa tête. Il est ridicule, pensait Ava qui se tenait les bras croisés totalement immobile. Tellement prévisible, tellement ennuyeux. Son compagnon de voyage lui avait d'abord semblé plein de charme, drôle et agréable à vivre. Le long trajet à bord du croiseur lui avait plutôt fait voir ses mauvais côtés. Cet homme n'était pas pour elle. Il ne restait plus beaucoup d'hommes pour faire sa chasse, peut être cet ingénieur spatial ? Elle se promit de le tester à son retour.

Les bruits de combats se rapprochaient rapidement, ils n'étaient pas surpris. La puce de localisation placée sous leur peau n'avait pas été détectée, et les secours savaient donc parfaitement où se diriger.

Tros n'était pas une base militaire, son personnel n'opposait visiblement qu'une résistance de façade. D'ailleurs, leur geôlier ne tarda pas à s'éloigner, visiblement peu désireux de rencontrer l'escouade libératrice. C'était une décision peu courageuse, mais sage pourtant car la porte de la chambre ne tarda pas à voler en éclat laissant passer les robots de combats d'Allan Colleman, leurs armes fumant encore d'avoir trop servi.

- J'ai failli attendre, tenta de plaisanter Gomez, mais avez-vous déjà essayé de faire rire un robot de combat ? Ava Kayani non plus ne sembla pas très réceptive à cette blague un peu minable.

Encadrés par les bots de guerre, ils parcouraient des couloirs déserts vers la sortie de la base de Tros. Ils progressaient rapidement dans les corridors en profondeurs de la base. Proche de la surface, leur fuite se compliqua. Au niveau d'un carrefour, le robot de tête reçu une rafale de projectiles de gros diamètre qui l'éventrèrent. Il s'immobilisa, neutralisé. La riposte de leur escorte ne tarda pas et une pluie de projectiles parti de leur position en direction du fond d'un couloir. Il n'y eu plus de riposte et le petit groupe avança de nouveau.

Au bout du couloir, un agent de sécurité gisait au sol, son bras gauche avait été perforé par un projectile et visiblement l'artère humérale avait été sectionnée. Malgré la compression de la plaie par sa main valide, une mare de sang s'étalait sous lui et un flux rouge et pulsatile continuait de couler de sa blessure. Il était pâle comme la neige, le visage contracté par la douleur. Masquée par le robot devant elle, Ava n'avait pu éviter la flaque de sang et s'éloignait maintenant du garde, en regardant avec dégoût les marques de sang que ses chaussures laissaient derrière elle.

Francisco la fusilla du regard en s'agenouillant auprès de l'homme blessé.

- Nous n'avons pas le temps Francisco.

- Nous n'avons pas le choix, Ava. Je n'en ai pas pour longtemps.

Défaisant la ceinture de l'homme moribond, il l'utilisa pour faire un garrot de fortune. Son geste fut efficace. S'il provoqua une grimace de douleur du garde, l'hémorragie était tarie.

Ils continuèrent, escortés par les robots, jusqu'au sas de sortie de la base. Francisco était couvert de sang. Ava laissa deux robots entre lui et elle. Ils s'équipèrent de leurs combinaisons qui étaient restées sur place et regagnèrent le spatioport jouxtant l'entrée souterraine. Rejoints par l'ensemble des robots de l'escouade de secours, ils embarquèrent immédiatement à bord du croiseur de guerre titanien qui décolla aussitôt, quoiqu'aucune défense planétaire n'exista pour s'opposer à cette fuite.

Ava ne s'était jamais inquiétée de leur situation, elle connaissait les mesures de protection prévues et la présence des robots de combats soigneusement dissimulés dans une soute du vaisseau de guerre. Le décollage immédiat du vaisseau avant même qu'elle n'atteigne le poste de commande la mit en colère, elle qui avait le grade de commandant et qui était aussi pilote supportait mal la prédominance prise par les machines sur toutes les décisions qui revenait de tout temps aux humains.

Une fois installés sur les fauteuils qui leur était destinés dans la salle de pilotage, les écrans de contrôle leur réservait une surprise pyrotechnique d'envergure. En bas, à proximité du spatioport, à l'emplacement où se trouvait la centrale à fusion qui assurait l'apport d'énergie pour toute la base de Tros, un immense champignon atomique s'élevait dans la ténue atmosphère de Ganymède. Francisco resta muet devant le spectacle alors que la colère d'Ava se transforma en fureur. Elle donna un violent mais futile coup de pied contre la console située devant son fauteuil, alors qu'un flot d'insultes sortaient de sa bouche à l'encontre des robots, des mécanicus et évidemment d'Allan Colleman.

Francisco lui gardait le silence, car au fond de lui-même il était incapable de décider si la destruction du réacteur était une bonne ou une mauvaise action. Son silence fut mal interprété par Ava qui retourna sa colère contre lui.

- Et toi tu ne dis rien. Tu trouves normal qu'un ordinateur planifie la destruction d'une base humaine sans même nous en parler ! Mais dans quel monde tu vis, Francisco ? Qui es-tu ?

- Je suis comme toi un humain, Ava. J'essaie juste de survivre, comme tout le monde je suppose. Lui répondit Francisco.

- Votre promenade dans le jardin s'est-elle mal passé madame ? je détecte de la colère dans votre voix. D'autre part, je détecte une anomalie de fonctionnement interne dans mes systèmes, faut-il contacter un technicien ? Rajouta Persépolis.

- Va voir dans la soute si tu trouves des souris ! aboya Ava.

Elle quitta le poste de pilotage, où elle était de toute façon inutile, pour se réfugier dans sa chambre, alors que le robot de compagnie partait effectivement vers la soute où il allait rester un bon moment à chercher,...

Un peu plus tard, alors que le croiseur avait quitté l'orbite de Jupiter, elle retourna s'asseoir à son poste à côté de Francisco qui garda le silence et évita soigneusement de se retourner. Après un long soupir, elle s'excusa auprès de lui, sincèrement désolée de s'être laissé emporter. Mais le feu qui brûlait en elle n'était pas éteint pour autant, la commandante gardait sa colère intacte à l'encontre Allan, seul vrai responsable de cette ordre meurtrier. Y avait-il seulement eu un choix, la décision n'était-elle pas prise bien avant leur départ ? Francisco et elle avaient-ils été piégés par le mécanicus ? Son sauvetage de l'astéroïde AQ 308 était loin déjà, elle comprenait que dans ce nouveau monde aucune issue ne semblait possible sans l'appui du Nautilus. La conscience aiguë de cette dépendance complète pour leur survie envers une machine la blessait profondément. L'humanité était-elle tombée si bas que le présent et l'avenir ne lui appartenaient plus ? Les faits semblaient confirmer cette nouvelle réalité, mais de quoi donc était-elle encore commandante ?

Un long voyage se profilait devant eux et Ava était soulagée de s'être excusée auprès de Francisco. La solitude de son astéroïde avait laissé sur son cœur une cicatrice qui ne guérirait jamais. Elle avait maintenant peur de la solitude. L'image du tombeau de cristal qui gardait seul son ancienne base minière hantait encore son sommeil.

Aucun rapport ne fut transmis par les passagers du vaisseau mais Titan savait déjà tout, la communication laser de machine à machine ayant débuté dès qu'une fenêtre de transmission avait été possible.

De la base de Tros, il ne restait plus rien. Aucun des colons n'avait survécus à l'explosion atomique et l'astroport de la lune était complétement anéanti avec l'ensemble des vaisseaux qu'il abritait.

La population de Jupiter venait d'être diminuée de quasiment les trois quarts de ses colons.