2117 Espace

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Ceux qui cherchent à développer une machine à lire les pensées humaines font fausse route. L'être humain est transparent pour celui qui sait lire ses plus infimes mouvements et connait les lois de la manipulation.

Template, échanges avec un robot. Mécanicus Allan Colleman

- Bordel de merde, fait chier !!!!!!!

Assis sur les toilettes communes du croiseur saturnien, les mains accrochées aux poignées latérales pour le maintenir fermement sur la cuvette, le sexe aspiré par la dépression qui devait évacuer son caca dans le conduit plutôt que de le laisser flotter librement dans l'étroite pièce, Francisco Gomez essayait d'émettre sa selle quotidienne.

Depuis le départ de Saturne c'était plutôt compliqué de ce point de vue. A soixante-sept ans, le medic-informaticien n'était pas un novice des voyages spatiaux, mais avec l'âge son transit était devenu plus capricieux et ce trajet s'annonçait mal de ce point de vue. Rien hier, ni le jour d'avant, ni même le jour précédant, ça devenait critique. L'absence d'apesanteur était toujours un peu difficile pour les intestins humains et les toilettes des vaisseaux spatiaux n'étaient en règle générale pas vraiment aidant, celui-ci ne faisait pas exception.

Poussant encore une fois, Francisco senti les veines de son cou gonfler sous l'effort alors que son visage devenait rouge puis violet. Toujours rien, mais il sentait que ça approchait tout de même. Il fallait qu'il essaie de penser à autre chose, mais à quoi ?

Des scènes de son enfance en Suisse commencèrent à émerger de sa conscience. Sa mère tenait une concession de gravitic cars et son père l'aidait pour les ventes et les montages financiers. Enfant, il n'avait manqué de rien si ce n'est d'un peu de compagnie. Fils unique, ses parents travaillaient beaucoup et le laissaient souvent seul. Plus tard, sa carrière de xéno-explorateur avait été une évidence. Partir sur un autre monde était le rêve de tous les enfants dans son école, mais lui l'avait réalisé contrairement à beaucoup de ses amis. Il avait brillamment passé les diplômes nécessaires en médecine et informatique. Travailler dans l'espace nécessitait à l'époque d'avoir une double formation : compétence et polyvalence étaient les maîtres mots. Il se souvenait des longs après-midis de son enfance, seul dans la grande maison. Maintenant qu'il abordait le troisième tiers de sa vie, il était toujours seul. Il avait embarqué à bord du croiseur avec Ava et Tien, mais eux formaient un couple et lui se retrouvait encore seul sur ces foutues toilettes. Il avait quelques amis sur Titan. Les longues missions extra-planétaires et sa proximité avec le mécanicus avait fait partir beaucoup d'entre eux. Ses compagnons les plus proches n'étaient plus sur Vénus : Diounout et Mosi avaient quitté la planète pour Saturne et Diounout y était morte.

Ava, elle, arrivait toujours à se lier facilement. Colleman la traitait comme la cheffe de leur petit groupe sans jamais leur avoir demandé leur avis. La Frankenstein lui parlait, Tien brûlait d'amour pour elle et en plus, elle était immortelle la conasse. Et lui, qu'avait-il, lui ? Rien, moins que rien. A soixante-sept ans il n'existait vraiment pour personne.

Poussant encore, il senti sa crotte commencer à sortir en un long serpent dur comme du bois et qui lui déchirait un peu l'anus. Finissant d'émettre son mélange de caca et de sang aussitôt aspiré vers le vide, il mordait violemment son poing pour éviter de hurler sous l'effet de la douleur. Il ne manquerait plus qu'Ava ne vienne à son secours !

Enfin il se relâchait après l'effort, ressentant un grand bien-être une fois son colon vidé.

Le moment le plus heureux dont il se souvenait avait été son premier poste de commandement, sur une petite météorite au cœur métallique, la vie était alors vraiment chouette !

Il ne pouvait finir sa vie comme ça, c'était impossible. Il avait connu tant de choses, vécu tellement de situations, rencontré un si grand nombre de personnes, tout ça ne pouvait pas s'éteindre avec lui. C'était impensable. Finissant de s'essuyer, il commença à se rhabiller, opération complexe du fait de l'étroitesse de la pièce et de son genou droit qui le faisait souffrir chaque fois qu'il le pliait.

Après une grande inspiration, il finit par rejoindre Ava qui était seule dans la pièce commune à surveiller sur l'image holographique la flotte de Siamois qui s'avançait vers Vénus. Elle avait l'intention de l'intercepter en la prenant en tenaille entre leur flotte et les vaisseaux en provenance de Jupiter. Cela nécessitait une parfaite coordination et la commandante restait concentrée sans même remarquer l'entrée du médic-informaticien dans la pièce. Elle n'avait sûrement eu aucune difficulté pour faire son caca quotidien, elle.

Francisco ne s'éternisa pas et regagna sa propre chambre pour consulter ses messages. Un long fichier 3D en provenance d'Allan junior l'attendait. Voici son plus fidèle ami, un clone psychotique et associable, Bravo Francisco !

Il apprit alors la création du vaisseau multi-mécanicus qui englobait l'ensemble des colons de Freetown et leur départ vers l'inconnu.

- Bravo champion, tu viens de perdre ton meilleur ami ! C'est un sans-faute que tu viens de réaliser !

Son genou le faisait de nouveau souffrir. Avec la décalcification liée à ses multiples séjours dans des atmosphères de faible gravité, son squelette était usé avant l'âge. Evidemment, Ava ou Tien bénéficiaient d'une parfaite santé, leur corps se régénérant comme à vingt ans. Ce n'était pas juste, vraiment pas juste.

Pourquoi ne deviendrait-il pas immortel à son tour ? Il y avait droit oui ou merde ? Seulement, l'idée d'aller retrouver cette Frankenstein de Natacha pour lui demander de faire de lui un immortel était largement au-dessus de ses forces. La salope était capable de le massacrer juste pour s'amuser.

Regardant le Freetown s'éloigner virtuellement de lui pour la troisième fois ; il se dit qu'il aurait mieux fait d'aller rejoindre cette bande d'illuminés.

Rejoindre cette bande d'illuminés, pourquoi pas ? Si Allan junior avait pu effectuer la transformation de son cerveau malade en un ordinateur, c'est que la technologie nécessaire à la création des mécanicus n'était pas perdu. Où avait-il pu trouver ces données ? Ce n'était pas compliqué à deviner : dans la mémoire informatique de son père, lui-même mécanicus.

Si Colleman possédait la recette pour transformer un humain en machine, alors lui aussi pourrait y avoir droit et gagner ainsi l'immortalité.

Consultant fébrilement ses documents, Francisco commença à imaginer le mécanicus qu'il pourrait devenir et peu à peu la vision qu'il construisait calma sa colère.

Il avait tort d'en vouloir au monde entier, cela fait longtemps qu'il aurait dû devenir immortel. Il avait suffisamment travaillé pour le mécanicus résidant dans le Nautilus pour avoir droit à son tour d'en devenir un.

Mais il ne ferait pas l'erreur de Colleman, il ne voulait pas rester bêtement posé sur un spatioport à regarder passer les nuages. Lui serait à l'échelle de l'homme. Ça n'avait pas été la mode chez les mécanicus du temps de la splendeur de la civilisation terrestre où le gigantisme et la démesure avaient été la règle. C'était pourtant ce qu'il voulait. Être un mécanicus de taille humaine, capable de se déplacer là où les humains se trouvent. Profiter du monde pour l'éternité, en oubliant ses douleurs et ses soucis de constipation. Plus de caca à faire. Juste une prise à brancher.

Oui, un jour, il serait un mécanicus.

Xeno-mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant