2114 Vénus

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Il vaut mieux être craint plutôt qu'aimé.

Machiavel

Les travaux de la station spatiale de Vénus étaient loin d'être terminés, mais déjà une partie des installations étaient en service. Un vaisseau de type Noé venait de s'y arrimer. Le véhicule cargo standard de l'empire solaire était relié à un des connecteurs souples de la station, attendant le chargement du tribut que les Vénusiens devaient acquitter tous les six mois. Une escorte était présente cette fois. Un Dreadnought patrouillait, à faible distance de la base orbitale et des Spectres tourbillonnaient autour de lui comme un essaim de guêpes. Ce n'était pas habituel, mais le tribut qu'exigeait l'empire solaire n'était pas habituel lui non plus et justifiait cette précaution.

Après sa défaite durant la dernière bataille de Saturne, Siamois avait compris qu'il avait besoin d'innovations technologiques pour garder sa supériorité. Sans égaler technologiquement les Titaniens, il fallait au moins être capable de contrer leurs armes les plus léthales. Mais la Lune ne disposait pas de scientifiques capables de travailler sur ce type de projet. Siamois avait alors consulté les banques de données qui renfermaient des informations exhaustives sur les colons des différentes planètes, pour sélectionner ceux ayant des compétences pouvant être utiles dans le domaine de la création d'armes et de vaisseaux de guerre innovants.

Les Mercuriens étaient particulièrement doués pour la mécanique et la robotique. Une dizaine d'entre eux étaient en cours d'acheminement vers la Lune. Mars avait peu de ressources scientifiques et plusieurs des chercheurs possédant des compétences intéressantes étaient morts récemment. Seuls cinq Martiens avaient été rapatriés. Vénus, elle, était mieux pourvue en scientifiques. Vingt-sept d'entre eux avaient été sélectionnés pour participer à ce projet. Les Vénusiens avaient tout d'abord refusé.Il avait fallu leur expliquer qu'ils n'avaient pas le choix et venir avec une flotte de guerre pour être sûr d'être bien compris.

Mei Pong faisait bien sûr parti des élus. Elle passait sa dernière soirée en famille, dans le petit appartement au sol transparent qu'elle aimait tant. Ils avaient essayé de faire un repas de fête, Orion Gartner avait pu ramener de superbes tomates des serres de la cité volante. Cependant aucun d'entre eux ne parvenait à faire la fête. Après le repas, les trois enfants rechignèrent à aller se coucher de peur de ne pas se réveiller à temps pour voir une dernière fois leur mère. Elle avait beau leur expliquer qu'avec les communications laser, ils pourraient se voir tous les jours, les enfants refusaient de se faire berner aussi facilement. Finalement, ils décidèrent de tous dormir ensemble sur le lit pliable du salon, et ce compromis donna satisfaction à chacun.

Dès l'aube, après une nuit agitée, Mei se leva sans bruit et sortit de l'appartement, emportant son chagrin et ses affaires, incapable de supporter une autre scène d'adieu. Gagnant une zone portuaire située dans la partie inférieure de la grande ville, elle retrouva plusieurs connaissances qui devaient effectuer le même voyage qu'elle. Tous gardaient le silence, essayant de retenir encore un peu le souvenir de ceux qu'ils laissaient ici. Un petit dirigeable les emmena jusqu'à la ville de Nankin où se trouvait le spacioport. De là, une navette les transporta sur le satellite artificiel en cours de construction pour embarquer à bord d'un Noé spécialement aménagé pour supporter des passagers vivants. Le reste du tribut était déjà chargé, le vaisseau se sépara du connecteur pour rejoindre la flotte qui l'escortait dès qu'ils furent tous montés à bord.

Le trajet vers la Lune fut long, monotone et lugubre. Ils étaient seuls dans la navette, Siamois n'ayant pas jugé utile de leur adjoindre des gardes, ni même un équipage, l'espace étant la meilleure des prisons. Le système de communication laser de la navette n'était pas accessible aux passagers-prisonniers, ils ne purent donc établir aucune communication avec Vénus durant les deux semaines du voyage. Depuis la grande catastrophe, aucun Vénusien n'avait voyagé dans l'espace et l'absence de gravité rendit plusieurs d'entre eux malade. Mei ne fit pas exception. Dès le premier jour, elle eut plusieurs épisodes de vomissements en jet, accompagnés de vertiges ; elle ne pouvait même pas goûter les mets que son compagnon lui avait préparés. Il n'y avait pas de hublot, aucune distraction n'était prévue et l'espace habitable qui leur était destiné était minuscule, obligeant à une promiscuité de tout les instants aggravée par les débris alimentaires qui flottaient librement entre eux.

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