2113 Titan

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Parfois on fait des choses horribles sans être un horrible personnage, qui peut sonder l'âme humaine?

Pensées du soir, de Tien Kong

Depuis son arrivée sur Titan en 2101, Allan junior était resté en retrait, le plus souvent enfermé dans le petit appartement qui lui était réservé à bord du Nautilus. En public, il ne trouvait jamais comment se comporter ni quoi dire. La longue solitude des premiers voyages du vaisseau de son père l'avait confiné dans un isolement total et il ne pouvait tout simplement pas établir une relation amicale avec un autre humain.

Il savait bien que son existence ne devait rien à un désir de filiation d'Allan, car l'immortalité supprimait en grande partie ce besoin. Il avait été créé peu de temps après la disparition physique de son père, absorbé par le Nautilus. Dès le début du processus, celui-ci avait ressenti la perte de son organicité comme un terrible manque. L'absence totale du toucher était un handicap profond qu'Allan, contrairement aux autres mécanicus, n'arrivait pas à surmonter et qui le hantait jour après jour sans qu'il ne s'autorise à en parler avec quiconque.

Allan junior avait conscience que ce manque était à l'origine de sa conception comme si, en faisant un clone de lui, Allan comptait recouvrir une partie de son corps par son intermédiaire. Visiblement, l'expérience avait échoué et rapidement le mécanicus s'était totalement désintéressé de son fils. Il finit même par complétement l'oublier, à partir du moment où son arrivée sur Titan lui procura une occupation qui sembla un meilleur remède à ses souffrances. En plus de son handicap social dont il avait bien conscience, le regard que les autres portaient sur lui dressait une autre barrière, l'enfermant encore plus dans la solitude. Il était vu d'abord avec surprise par ceux qui avait connu physiquement son père, puis avec un air peiné qui le blessait profondément. Natacha Andrioukhine l'évitait franchement mais elle évitait la plupart des gens, les autres l'ignoraient maintenant. Le seul qui semblait le considérer comme un être vivant était Francisco, l'informaticien médic qui venait régulièrement le voir, lui proposant de l'emmener sur la surface de Titan où ils survolaient l'océan qui jouxtait la base pendant de longues heures, tous les deux admiratif du mouvement des vagues, de la couleur changeante du méthane liquide et de son bouillonnement lors des remontées des bulles d'azote de la profondeur de Ligeia mare.

Durant ces rencontres, Francisco parlait beaucoup, racontant des histoires drôles, des anecdotes ou des morceaux de sa propre vie et Allan junior écoutait, fasciné par la capacité de l'informaticien à s'exprimer sur tous les sujets, passant du sérieux au drôle, du futile à l'important.

- Dans mon université, pour passer ses diplômes, les étudiants avaient le droit d'essayer de cracker le système pour récupérer les questions de l'examen. En cas de succès, ils n'étaient pas pénalisés ! Ils avaient raison, un étudiant capable de briser les clés de sécurités mise en place par un professeur mérite la mention maximale !

- Et toi, Francisco, tu as réussi à pirater le système ?

- Pas vraiment, petit. Mais j'ai eu un professeur comme patient à l'hôpital où je validais mon diplôme de médic. Avec un peu de sérum de vérité, j'ai pu obtenir ses codes ! Je ne suis pas bien sûr que j'aurais eu mon diplôme si le doyen l'avait su !

- Pourquoi, demanda le jeune homme, si vous aviez le droit de pirater le système ?

- Là on va parler moral et c'est chiant. Répondit Francisco.

- Il y a des choses que l'on peut faire sur une machine mais non sur un humain. Du moins c'est comme ça que ça fonctionnait quand j'étais gamin.

- C'est tout de même bizarre de faire la différence constata Allan junior. Mon père, il est quoi humain ou machine.

- Regarde, le rocher qui sort de l'eau sur ta droite ! On dirait le dos d'une baleine. Tu ne connais pas les baleines, elles ne doivent plus exister de toute façon. La baleine, c'est pour les animaux ce qu'est un mécanicus pour les humains. Tu comprends ? Essaya Francisco

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