2116 Mercure

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Les hommes se nourrissent de vers et de moisissures, les machines d'hélium-3, les rêves eux se nourrissent de vaisseaux spatiaux.

Pensées du soir, de Tien Kong

Polina Kouznetov ne quittait pas un instant sa fille qui avait maintenant cinq ans. Elle refusait que son amie, qui pourtant s'en était occupée durant ces six mois d'absence, la garde un peu pour lui laisser le temps de se réhabituer à la vie sur Mercure. Pourtant, Polina avait eu un choc en débarquant sur la vieille base : l'humidité qui tâchait les murs, l'odeur de pourriture, les portes bloquées et les grilles d'aération non fonctionnelles depuis des mois lui apparaissaient avec une acuité nouvelle. De plus, la gravité, pourtant faible par rapport à la Terre, était deux fois plus élevée sur Mercure que sur la Lune, faisant reposer sur ses épaules une chape de plomb. Mais sa fille était son univers et les mois passés sur la Lune une perte irremplaçable. Le soir de l'arrivée de la scientifique sur Mercure, elles dormirent ensemble, dans le même lit, malgré les coups de pieds involontaires que recevait Polina pendant le sommeil troublé de l'enfant. Quand elle se rendit auprès du Tsar, nom qui était donné, un peu par dérision, au responsable technique de la base d'Ishar Novgorod, elle serrait fort la main de sa fille qui la suivait sans poser de question. Le Tsar lui fit des gros yeux mais se garda bien de faire la moindre remarque. Il ne souhaitait pas mettre la scientifique dans de mauvaises dispositions en lui faisant des reproches avant de lui parler de son projet. Retirant un morceau de peau au niveau de son avant-bras droit sous les yeux effrayés de sa fille, Polina dévoila la puce qui avait été implantée avant son départ.

- Maman n'a pas mal, affirma la scientifique, tout en posant son avant-bras sur le récepteur informatique placé devant elle.

En quelques secondes, l'ensemble des données qu'elle avait collectées durant les six mois sur la Lune fut téléchargé sur l'ordinateur central de la base.

- Je n'ai pas pu entrer dans leur ordinateur, c'était trop dangereux. Le mécanicus contrôlait tous les terminaux. Mais j'ai enregistré toutes les discussions et pris de nombreuses images des plans, rapports et avis d'experts. Avec tout ça, nos ingénieurs seront capables de construire une flotte de guerre le jour où nous serons prêts à leur faire payer.

- Merci Kouznetov, c'est du bon boulot. Ces renseignements techniques nous serons très utiles. Notre avenir est compliqué, tu le sais. C'est difficile de faire les bons choix pour nous. Toi qui reviens de la Lune, que penses-tu de la situation et de ce que nous devrions faire? Crois-tu que les rebelles aient une chance ? Crois-tu que, s'ils gagnent, nous vivrons mieux ?

- Non Tsar, je ne pense pas que l'empire solaire puisse perdre. Je pense qu'il est encore là pour des siècles, mais il y a vingt ans j'aurai dit la même chose de notre pays. Quand aux rebelles, je crois qu'ils se fichent bien de savoir comment nous vivons. Nous ne devons compter sur personne pour prendre soin de nous. Un jour, nous devrons être libres et j'espère que ma fille connaitra ce moment. Pour le moment nous sommes, comme notre planète, obligés de suivre notre orbite en attendant des jours meilleurs.

Elle avait lâché la main de la fillette pour se brancher à l'ordinateur et celle-ci s'était mise à genoux à ses côtés, jouant avec une figurine qui représentait une héroïne, sans doute à la mode chez les enfants mercuriens, mais dont Polina ne connaissait rien. Il y avait tant de choses qu'elle ignorait à propos de cette inconnue qu'était devenu sa propre fille en seulement quelques mois. Perdue dans ses pensées, le regard aspiré par le jeu de la fillette, la Mercurienne n'écoutait plus. Sa mission était finie, elle avait fait ce qu'elle devait faire et maintenant elle avait le droit de profiter du peu de temps que l'univers lui avait octroyé pour être avec la chair de sa chair.

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