2115 Ceinture d'astéroïdes troyens de Jupiter

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Un épisode méconnu de l'histoire est Freetown. De tout temps, des humains cherchèrent à échapper à leur destin. Avec la ville puis le vaisseau Freetown, cette tentation, jusque-là vaine, fut un succès. Je ne puis vous dire si c'est une bonne chose ou une mauvaise chose. 

Précis d'histoire de l'ère post-terrienne. Professeur Rasolomano

Mosi avait travaillé dur depuis son arrivée un peu brutale sur son caillou. Il avait décidé une bonne fois pour toutes qu'il était déjà mort. Sa présence ici relevait d'une décision supérieure ne laissant aucune place à des états d'âme. Relevant le défi, il commença par remettre en fonction les robots nécessitant le moins de réparation. Il les envoya chercher sur l'épave tout ce qu'ils pourraient récupérer. Effectivement, ils ramenèrent l'ensemble des caisses sauvées du désastre, puis tout ce qui se trouvait à l'intérieur du vaisseau, permettant au techno-énergéticien de récupérer quelques meubles bienvenus. Enfin, ils démontèrent plaque par plaque le fuselage du croiseur pour aller les empiler en plusieurs tas, créant de petites tours dans le cirque abritant l'entrée de la base.

Récupérant le système de communication du croiseur qui, par chance, n'était pas trop endommagé, Mosi pu l'installer à la place prévue pour lui il y a des dizaines d'années. Une fois celui-ci en fonctionnement, il envoya son premier rapport à Saturne et Jupiter, annonçant qu'il était en vie, malgré son silence radio d'une semaine et que le plan se déroulait aussi bien que prévu. Il n'attendit pas la réponse pour envoyer la liste de ce qui lui était nécessaire à la poursuite de ce projet pharaonique qu'ils avaient conçu.

Pour commencer, il fit creuser, juste à côté de la chambre qu'il avait choisie, une petite alcôve où il installa des mobi-mages de son épouse et de leurs quatre enfants. De cette façon, il n'allait jamais se coucher sans passer leur dire bonsoir, ressentant, à chaque fois, un pincement au cœur. Puis, utilisant les composants de l'ordinateur du croiseur, il upgrada Poc, l'ordinateur de la base, et lui donna une nouvelle identité. Dorénavant, exit Poc et bienvenue à Diounout Afengy dont la tête occupait toute la dimension des écrans.

Mosi était maintenant dans un environnement connu, il pouvait dire qu'il était chez lui. Vivre avec des fantômes lui permit de ne pas se sentir seul. Il avait de longues discussions avec Diounout, celle-ci lui répondait selon la logique informatique de son programme qui ne connaissait ni l'humour ni la tendresse. Le vagabond solitaire avait tellement besoin de cette présence qu'il ne tenait aucun compte de cette réalité, considérant la résurrection de la géologue comme la vérité. Il s'attacha tellement à cette vérité qu'il arrivait à tromper son propre esprit.

Une fois ces préparatifs réalisés, il entra dans l'ordinateur les plans préparés avant son arrivée et commença à les adapter à la réalité du terrain. En raison de la taille des deux cailloux, les besoins en matériaux divers étaient démesurés, largement au-dessus de ce qu'ils avaient initialement prévu. La guerre qui sévissait brûlait les ressources des deux planètes et Mosi avait peur de ne pas recevoir suffisamment de vaisseaux cargos pour pouvoir mener à bien son projet. Prudemment, sachant qu'il fallait s'aider soi-même avant que Dieu ne vous aide, le techno-énergéticien profita de la fonction première de la base où il se trouvait. Il lança le processus d'exploitation de la météorite pour récupérer des ressources directement sur place. Ensuite, il mit en fonctionnement la petite unité de production 3D qui se trouvait déjà présente dans la base avant son arrivée pour produire les premières pièces qui étaient nécessaires. Il faudrait beaucoup de robots pour arriver à construire la totalité de ce qui était prévu dans les plans, et c'était sa demande principale aux deux mécanicus. La priorité était l'installation des moteurs qui devaient permettre de transformer ces météorites en vaisseaux spatiaux. La mise en place de l'armement pouvait attendre, une partie de celui-ci pouvant être installée durant le long trajet qui l'emmènerait jusqu'à la Lune.

Les premiers cargos en provenance de Saturne et Jupiter arrivèrent bientôt, brisant la monotonie de la vie sur la base. Les arrivages étaient généreux et Mosi fut surpris par l'importance des ressources qui lui étaient attribuées. Il comprit un peu plus tard la cause de cette générosité : les deux planètes connaissaient un répit aux violentes attaques de Siamois. Du fait de la dernière défaite sur Saturne et de la destruction accidentelle de la flotte qui devait harceler Jupiter, une trêve à la guerre planétaire qui déchirait le système solaire avait été instaurée par Siamois. Les deux mécanicus en profitaient pour renforcer leurs défenses bien éprouvées et envoyer de nombreux cargos vers sa météorite. Les deux planètes avaient bien compris que la clé de la victoire se trouvait sur ce caillou et lui faisaient suffisamment confiance pour le laisser mener seul ce projet. Quelques-uns des vaisseaux de ravitaillement subirent le même sort malheureux que son croiseur, mais la majorité arrivaient à bon port.

Conscient de son importance, le techno-énergéticien redoubla d'efforts, travaillant au maximum de ses capacités afin de présenter en retour un rapport optimiste sur l'avancée des travaux. La tâche était titanesque : il fallait rendre mobiles ces deux mastodontes, les armer et mettre en place la petite surprise qu'ils avaient préparée pour Siamois. Cette partie était la plus complexe, car il ne pouvait faire d'essai et les simulateurs n'avaient que des données partielles sur ce sujet, les résultats étaient donc difficilement interprétables.

Le caillou devenait son domaine. Il s'intéressait moins à la deuxième météorite dont la transformation était plus simple et ne mit jamais les pieds dessus, trop averti des dangers du vol spatial au milieu d'un champ d'astéroïdes toujours en mouvement.

Un soir, après un repas un peu trop alcoolisé, il décida de se faire roi du caillou. Il demanda à l'ordinateur de l'appeler dorénavant roi Sadji, et voir le visage de Diounout le nommer roi l'excita. Détournant l'activité de l'usine 3D jouxtant la base, il lui fit construire une couronne de métal du plus bel effet et la garda sur sa tête toute la soirée. Les journées étaient effectivement rythmées selon les habitudes terrestres, comme dans les autres colonies du système solaire, bien que cet endroit ne connaisse ni jour ni nuit. L'ordinateur de vie se chargeait de moduler la luminosité globale dans la base en fonction de l'heure théorique, améliorant ainsi le sommeil des colons.

Le lendemain, une fois les vapeurs d'alcool dissipées, il laissa l'ordinateur continuer à l'appeler Roi Sadji et compléta sa couronne en y ajoutant des connecteurs neuronaux externes lui permettant de l'utiliser en mode symbiotique avec la table holographique. Il prit le temps de réparer lui-même le vieux robot qu'il avait rencontré en débarquant sur « sa » météorite pour en faire le premier sujet de son nouveau royaume. Celui-ci le servit fidèlement selon son nouvel algorithme.

Cependant, malgré la solitude, malgré toutes les épreuves traversées, Mosi Sadji restait tout de même suffisamment lucide pour bien faire son travail et penser à retirer sa couronne ridicule avant d'entrer en contact avec Jupiter ou Saturne.  

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