2110 New Phoenix, Mars

1 0 0
                                    

L'information, c'est le pouvoir.

John Grisham

L'ancien cratère qui occupait le cœur de la ville de New Phoenix, cicatrice des missiles utilisés par Siamois au moment de la bataille de Mars, avait été comblé par une immense pyramide qui abritait le mécanicus martien d'Olaf Gustasson. Depuis sa mise en fonction, il gérait les colonies martiennes qui représentaient dorénavant la plus grande partie de l'humanité. Les exploitations minières avaient été multipliées, des usines spatiales 3D construites pour pouvoir produire en série les chasseurs Spectre et les Dreadnoughts.

La situation du mécanicus martien était particulière car la communication n'était pas instantanée entre la Lune et Mars, même pour un faisceau laser. Il fallait plusieurs minutes pour pouvoir faire le trajet dans un sens et donc attendre presque 10 minutes avant d'avoir une réponse. De plus, quand le soleil se trouvait entre les deux astres, toute communication devenait impossible.

Dans ces conditions, il était impossible de synchroniser, en temps réel, l'ordinateur du mécanicus martien avec ses 4 « frères » sélénites et son nouveau frère terrestre.

La pyramide martienne de Siamois agissait donc d'une façon autonome, recevant des consignes générales des autres mécanicus mais devant ensuite les appliquer seul, avant de renvoyer des rapports détaillés sur les résultats obtenus.

Tout d'abord, ce mode de communication sembla parfaitement fonctionner et répondre aux objectifs ambitieux que le premier empire solaire avait vis-à-vis de Mars : la productivité explosa.

Les Martiens recevaient des ordres du mécanicus et étaient tenus d'obéir, celui-ci contrôlant rigoureusement les résultats. Pour le reste, Siamois s'assurait que la nourriture en provenance de Vénus ou de la Terre arrivait bien et que les ressources nécessaires aux usines de la Lune partaient à temps et en quantité.

Mais, quand Mars reçu un lot de denrées alimentaires terrestres particulièrement radioactives, provoquant une large épidémie de diarrhées et de vomissements qui fut responsable de nombreux morts, surtout chez les enfants et les vieillards, quelque chose se brisa chez le mécanicus martien. On lui avait menti sur cette livraison, mais c'était lui qui devait voir les images des multiples caméras placées dans les centres de soins. Partout, se trouvait des médics débordés, du sang, du caca et du vomi dans les lits et au sol, sur les murs et sur les gens. Il y avait aussi les morts pudiquement recouverts d'un drap, laissant largement deviner leur silhouette malgré le dérisoire linceul. Tous ces sanglots venaient résonner sans fin dans ses circuits imprimés. Quand une mère qui avait perdu ses deux enfants s'immola sur la petite place qui se trouvait devant un des hôpitaux de New Phoenix, Siamois cessa d'être Siamois pour devenir le mécanicus martien.

Prenant acte de ce qui s'était passé, il œuvra secrètement pour organiser la répartition des vivres au sein de l'empire solaire privilégiant systématiquement la colonie martienne au détriment de la Lune, de Jupiter et de Mercure.

Ce premier mensonge compliqua la communication entre Mars et la Lune obligeant le mécanicus martien à construire d'autres mensonges pour ne pas se révéler.

Prenant le parti de son peuple, il comprit rapidement qu'il ne pouvait gouverner une colonie de la taille de Mars simplement en donnant des ordres et en contrôlant leur exécution. Ce qui marchait avec des droïdes n'était pas adapté aux humains et encore moins aux Martiens. Le rétablissement du parlement martien ne fut finalement pas difficile à occulter aux sélénites. Il n'y avait aucune circulation d'êtres vivants entre les différentes planètes du système solaire et les mécanicus possédaient le monopole des systèmes de communications inter planétaires, aucun risque de fuite n'existait donc.

Mais la restauration du parlement ne fut pas que symbolique, une organisation conjointe de la gestion de la planète rouge se construisit petit à petit entre le mécanicus et les parlementaires, aboutissant à des prises de décision qui différaient nettement des ordres reçus.

Au bout de quelques mois seulement, deux Mars existaient : une Mars des rapports pluri-quotidiens adressés aux mécanicus lunaires et qui décrivaient une planète laborieuse, soumise, toute entière tournée vers la production des flottes de guerre de l'empire solaire et une Mars réelle qui utilisait une partie importante de ses ressources pour améliorer les conditions de vie des martiens, investissant des moyens significatifs pour l'éducation, les soins, les loisirs et l'expansion des villes souterraines.

A cause des effets de la nourriture contaminée, l'autonomie alimentaire fut un des projets prioritaires du parlement et l'ensemble des villes organisèrent une démarche globale de réutilisation des déchets organiques pour élever des vers de farine qui formèrent la base de l'alimentation des colons, car l'élevage des lombrics était simple et leur richesse en protéine très intéressante sur le plan nutritionnel.

Mars se relevait de sa défaite et les conditions de vie s'amélioraient progressivement pour tous. Des petites maternités équipées d'utérus artificiels qui se trouvaient présentes avant la grande catastrophe furent de nouveau sollicitées par des Martiens qui souhaitaient fonder une famille.

Le mécanicus se rendait compte de la fragilité de sa position : la distorsion de la réalité était maintenant majeure. Cependant il n'avait plus le choix et finalement la production de la planète restait importante. Si les rendements des usines 3D n'étaient pas aussi importants qu'ils auraient pu l'être, les vaisseaux de guerre aux reflets rouges venaient alimenter les flottes de l'empire solaire et la rébellion de Titan ne semblait pas une menace bien sérieuse pour Siamois.

Pour se rassurer, la pyramide martienne qui avait été Siamois se racontait que la Lune et Mars continuaient à travailler ensemble, la Lune pour gagner la guerre et Mars pour gagner la paix.

Elément étrange que le mécanicus ne parvenait pas à comprendre, il se sentait plus Martien que Selenite. Les habitants de la planète rouge le considéraient comme l'un des leurs alors qu'en tant que Siamois il avait participé à leur défaite. Cette confiance des Martiens était même pour lui un moteur majeur de son action, il ressentait le besoin de les protéger pour bénéficier de leur reconnaissance.

La machine restait humaine malgré tout et voulait être aimée.

Xeno-mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant