2105 Base de Planetary Ressources, Lune

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La différence entre Dieu et un mécanicus, c'est que Dieu ne se prend pas pour un mécanicus. 

Proverbe spatial populaire

Siamois était triste en regardant les images de la mort de Chihiro. C'était une amie qu'il avait rencontrée avant que tous deux ne deviennent des mécanicus. Son passé humain appartenait à une autre vie, pourtant il se souvenait d'une femme joyeuse, imprévisible et portant toujours des tenues excentriques. Son combat pour préserver l'humanité ne l'amusait plus, les échecs et les victoires sans joie finissaient de noircir son monde. L'empire solaire se portait pourtant bien. Mars, Vénus et Mercure étaient maintenant sous son contrôle. Ses flottes étaient puissantes, la destruction des Spectres envoyés vers Saturne n'était rien pour lui. La Terre lui appartenait, car il ne concevait pas que la poignée d'humains qui y vivaient encore puisse résister sans mécanicus pour les commander. La fuite de la fusée vers Saturne serait le dernier acte de résistance des terriens. Il pourrait puiser de ce cimetière de l'humanité les ressources nécessaires à la survie des autres planètes. Jupiter serait bientôt sous son contrôle, et Saturne devrait bien se résoudre à la reddition.

Mais l'intendance nécessaire à la survie de l'humanité l'épuisait psychologiquement. Il avait dû rapatrier de la nourriture radioactive, et des centaines de personnes avaient déjà présenté des symptômes d'irradiation, notamment les enfants bien plus fragiles. Les serres hygronomiques placées sur les différentes planètes remplissaient bien leur fonction, mais étaient jusqu'à maintenant insuffisantes pour assurer l'autonomie alimentaire des colons.

La reproduction posait aussi d'importants problèmes. La plupart des humains des exoplanètes étaient stérilisés, mais les utérus artificiels refusaient de fonctionner correctement sur le sol lunaire du fait de la faible gravité. La population de Mars souffrait des radiations solaires, et le taux de leucémie était important. Les missions sur Mars étaient normalement limitées à 3 ans, mais le retour sur Terre était maintenant impossible.

Enfin il manquait de scientifiques. La Lune était essentiellement une usine de production de vaisseaux spatiaux, mais les plans étaient faits sur Terre. Les scientifiques martiens étaient pour l'essentiel des agronomes et des géologues, et la contribution des martiens à l'empire solaire était peu enthousiaste. C'était un des points les plus douloureux pour Siamois. Il n'était pas aimé par son peuple qui n'était pas du tout reconnaissant, bien qu'ils n'aient survécu que grâce à lui. C'était une blessure narcissique immense pour le mécanicus. Parfois, dans sa solitude, il avait des envies d'holocauste, de détruire ce qui restait de l'humanité pour de bon. Mais vivre seul dans le système solaire n'était pas une perspective engageante car contrairement aux ordinateurs, il connaissait l'ennui. C'était même le poison le plus néfaste pour les mécanicus. L'un des leurs, avant la fin du monde, avait choisi de se débrancher plutôt que de continuer à vivre sans but. La dépression avait poursuivi les mécanicus jusque dans leurs microprocesseurs. Abandonner leur enveloppe humaine n'avait pas mis fin à ce fléau et aucune pilule bleue ne pouvait les aider.

Un projet commença à émerger dans les circuits électroniques des méga-ordinateurs répartis en quatre entités qui le représentaient sur la Lune. Finalement, il n'avait pas besoin des humains actuels. Il pouvait poursuivre la construction de l'empire solaire avec une nouvelle race qui saurait lui être reconnaissante de son existence et qui se plierait à sa volonté. Il pouvait se donner les pouvoir d'un dieu et façonner son environnement à sa convenance, personne ne pouvait l'empêcher d'être libre de son destin.

La fouille de la maternité de Huadong avait révélé bien des secrets. Sa collection de matériel génétique était un véritable trésor pour l'humanité ! Dans ses tentatives pour créer des clones, l'empire du milieu avait réussi à sélectionner des patrimoines génétiques très favorables à l'obéissance et à la soumission. Si ces expérimentations n'avaient pas dépassé le stade des essais, un bataillon de néo-humains avait quand même été testé avec succès. Puis les changements politiques avaient mis fin à ce projet et les gènes étaient restés entreposés dans une pièce sécurisée, sans plus d'utilité. Le moment était venu de transformer la base militaire de Puerto Madryn en pouponnière, et de peupler l'empire d'une humanité renouvelée, plus forte et plus résistante, mais aussi plus reconnaissante envers son créateur.

Les Sélénites ne furent même pas avertis des projets du mécanicus. Sous la surveillance vigilante des machines, ils exécutaient le travail qui leur était imparti avant de rentrer chez eux pour se retrouver en famille. En apparence, peu de choses avaient changé pour eux. Tout de suite après la prise de pouvoir de Siamois, ils avaient dû reprendre leur travail, devant justifier leur productivité face à des ordinateurs sans humanité.

Ils avaient connu le rationnement alimentaire, certains peu productifs avaient connus la malnutrition et la faim, mais la plupart s'étaient adaptés à la nouvelle situation pour survivre. Quand ils s'aperçurent qu'une partie de leurs rations étaient radioactives, il y avait bien eu des cris et des insultes. Mais le jour d'après, tous étaient retournés travailler car qui ne produisait pas ne recevait pas de ration alimentaire. Le premier empire solaire et la guerre spatiale actuelle les laissaient indifférents. Ce qu'ils voulaient surtout, c'était survivre. Tous restaient en état de sidération, peinant à intégrer la destruction de la Terre comme un fait réel et définitif. Ils vivaient au jour le jour, sans être capable de construire des projets pour le futur. Aucune rébellion n'était possible, et cette situation semblait devoir durer à l'infinie, car leur dictateur ne vieillirait jamais. Siamois ne cherchait pas à faire de la propagande, il n'était jamais visible pour les Sélénites et leur laissait une certaine liberté de déplacement car plus aucun vaisseau habitable en état de fonctionnement ne se trouvait sur la Lune. Ses sujets n'avaient d'autre choix que de lui être fidèle. 

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