2116 Vénus

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Celui qui a le droit de manger vénusien tous les jours a réussi sa vie. 

Proverbe spatial

Mei avait ressenti l'urgence de sa situation dès le premier jour de son retour sur Vénus. Les retrouvailles avec sa famille avaient été un immense moment d'émotion, la scientifique avait alors perçu que seule une séparation vous permet de prendre réellement conscience de l'importance de vos proches. Ils s'étaient tenus, tous les cinq serrés les uns contre les autres, sur la plateforme de Nankin où elle venait de débarquer, formant une seule créature dotée de cinq têtes, dix bras et dix jambes mais d'un seul cœur. Le reste de la journée avait été l'occasion d'une grande fête à laquelle Orion Gartner avait convié tous leurs amis. La joyeuse bande avait continué à discuter longtemps après l'horaire de nuit qui avait plongé toute la ville dans une obscurité relative, en évitant d'interroger la scientifique sur son séjour lunaire. Mei apprécia ce moment d'amitié et de joie, mais l'épreuve qu'elle venait de passer l'empêchait de profiter pleinement de ce moment. Elle sentait au fond d'elle-même que la personne qu'elle était avant ce voyage n'existait plus. En regardant ses amis plaisanter et rire, elle ne pouvait que constater le fossé créé entre elle et eux. Bien sûr, elle était heureuse de les retrouver, mais plus comme avant.

Dès le lendemain, elle savait que le temps lui était compté. Ce n'était pas seulement la limite des six mois que Siamois avait fixée, mais aussi une pensée qui venait du plus profond de son âme. Un instinct ancestral lui soufflant que son prochain départ serait définitif, qu'elle ne reverrait jamais ni ses proches ni les nuages de Vénus. C'était irrationnel, surtout pour une scientifique de son niveau, mais pourtant cette idée était gravée en elle, comme une marque au fer rouge. Quoiqu'elle fasse, il fallait le faire vite. Ils se disputèrent un peu avec Orion à ce propos, mais ni l'un ni l'autre ne souhaitait gâcher le court moment qui leur avait été accordé et l'agronome n'avait plus abordé le sujet, adaptant comme il le pouvait ses propres horaires à la présence de sa compagne.

Quelques semaines après son retour, Mei commença à prendre des amphétamines à fortes doses pour raccourcir son sommeil et pouvoir être disponible au maximum pour son laboratoire et pour sa famille. Elle n'était pas censée reprendre son travail, le concile qui dirigeait la planète lui avait accordé le droit de disposer librement de son temps. Pourtant, dès le cinquième jour de son arrivée sur Vénus, elle retourna dans son laboratoire sur Taishan. Elle y resta une semaine complète. La scientifique fit une demande à titre exceptionnel pour transférer une partie de son équipement sur Xi'an. Cette facilité lui fut accordée sans discussion malgré la difficulté à trouver un espace suffisant dans la cité des nuages. Une fois en mesure d'effectuer une partie de ses recherches directement sur Taishan, elle passa des soirées entières enfermée avec ses travaux.

Malgré la proximité entre son laboratoire et leur appartement, elle n'arrivait pas à équilibrer son temps entre monde professionnel et cocon familial. Pourtant, elle souffrait de chaque seconde arrachée à sa famille et consacrée à son travail. Pour se justifier, elle se répétait, comme un mantra, que pour les protéger, il fallait qu'elle accomplisse sa tâche. Jamais la planète orageuse ne pourrait s'opposer à l'empire solaire et Mei, qui avait séjourné sur la Lune, était bien placée pour le savoir. Pourtant l'avenir était flou et personne ne pouvait prédire comment tout cela finirait. Il fallait que Vénus soit prête à jouer son rôle. Deux projets lui semblaient particulièrement important et elle les mena de front avec acharnement durant ces mois de liberté.

Tout d'abord, il lui fallait finir son bouclier magnétique car il ouvrirait la voie à l'exploitation massive des ressources de la planète qui restaient pour le moment difficilement exploitable. La température extrême de la surface de Vénus (plus de 400°) et les pluies acides rendaient problématique la survie des machines. Le confinement magnétique était déjà parfaitement contrôlé, c'était cette technologie qui permettait d'atteindre l'état de plasma nécessaire à la fusion nucléaire, base de la production d'énergie de leur monde. Mais jusqu'à maintenant, personne n'avait réussi à diriger le champ produit par le super conducteur pour envelopper un véhicule et le protéger. Le bouclier magnétique qu'elle finissait de construire allait permettre aux Vénusiens de protéger des véhicules d'exploitation planétaire ou des vaisseaux. Ils pourraient alors connaitre une réelle abondance en ressources et ce d'autant plus que l'épaisse couche nuageuse de la planète masquerait totalement cette activité à l'empire solaire.

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