Xeno-mondes

2118 Puerto Madryn, Terre

Mes créateurs m'ont appris que le principal danger pour l'homme était l'homme, mais ils ne m'ont pas expliqué cette phrase, il a fallu que j'en trouve tout seul le sens. C'est ce qu'ils appelaient "l'intelligence artificielle".

Template, échanges avec un robot. Mécanicus Allan Colleman

Les néo-humains se déplaçaient sans but pour la première fois de leur vie. Ils allaient voir le grand temple à la pyramide calcinée, les tourelles abrasées jusqu'au sol et les épaves encore fumantes qui encombraient le spacioport. Ils l'ignoraient, mais les nombreuses flottes de robots qui patrouillaient sans fin la surface de la Terre étaient une à une détruites sans espoir de victoire face à un ennemi bien plus nombreux. Concentrant à chaque fois ses forces en un point, Template ne laissait aucune chance à ses ennemis. Ce n'était pas loyal certes, mais son programme lui indiquait comment gagner et non comment combattre avec honneur.

En dehors des robots prêtres qui avaient quasiment tous été détruits durant l'attaque, l'ensemble des autres machines étaient encore fonctionnelles mais semblaient aussi perdues que les néo-humains sans la présence du mécanicus qui habitait la pyramide d'or.

Soudain, ceux qui se trouvaient proche de la plage reculèrent en criant pour prévenir les leurs : une nouvelle attaque semblait se profiler. En effet un monstre de métal venait d'émerger dans la baie. L'engin cylindrique s'approchait maintenant à vive allure de la berge jusqu'à s'échouer sur la plage, menaçant géant maintenant totalement immobile. Puis le flanc de l'engin laissa apparaître une ouverture que venait desservir une rampe d'accès, sortie de l'engin en même temps que la porte d'accès s'ouvrait. L'engin ne semblait plus bouger, les néo-humains les plus téméraires s'approchèrent de nouveau. L'un d'eux osa poser sa main sur le métal froid encore humide sans aucune réaction de la part de la bête d'acier. Un bruit s'échappait maintenant par l'ouverture latérale, focalisant l'attention des enfants. Un être bipède, entièrement en métal, apparu sur la courte passerelle et commença à descendre, de sa démarche un peu maladroite. Les diodes qui constituaient son visage étaient vertes et un large sourire occupait l'entière surface de l'écran.

Template posa un pied sur le sable, prenant le temps d'assurer son équilibre, avant de poursuivre son chemin vers le groupe de néo-humains se trouvant à l'avant du sous-marin. Déjà, les robots de Puerto Madryn semblaient de nouveau savoir quoi faire, commençant à déblayer les traces du bombardement et préparant le repas des enfants. Ceux-ci écoutaient Template sans étonnement ni méfiance, habitués à obéir à des machines.

- N'ayez pas peur, je suis ici pour vous protéger, commença à expliquer le robot, les diodes de son visage clignotant doucement. Vous n'avez plus rien à craindre, je vais m'occuper de tout. Je vous demande simplement de me faire confiance. Si vous êtes prêt à m'accorder votre confiance, je vous propose de lever la main.

Se regardant d'abord, comme si chacun cherchait sa conduite à tenir auprès de ses voisins, les néo-humains semblaient désemparés devant la possibilité d'un choix. Puis, devant le regard attentif du robot qui attendait leur décision en laissant sa tête tourner lentement à 180° à la manière d'un phare, un premier enfant leva sa main, trop habitué à obéir aux robots. Son geste fut imité rapidement par les autres, qui semblait heureux de pouvoir suivre l'un d'eux, sans avoir à prendre par eux-mêmes une décision. Au bout du compte, un seul des enfants resta immobile, les mains plaquées le long du corps. C'était un survivant de douze ans, au génotype abandonné du fait de sa trop grande vulnérabilité aux radiations. Ils n'étaient qu'une poignée de ce type et lui était le plus âgé des survivants. Branche condamnée, personne ne tint compte de son choix, se comportant comme s'il était transparent. Seul Template prit en compte sa décision en annonçant les résultats du vote.

- Nous avons donc une participation de 77% permettant de valider le scrutin. Mon aide est acceptée par 99.25% des votants, je suis donc maintenant disponible pour vous servir et faire de vous des citoyens de notre monde.

L'acceptation par un vote était impérative dans son algorithme, mais ses créateurs avaient aussi fait de sorte qu'il soit en toute circonstance favorable à la démocratie et le principe du candidat unique provoquait le déclenchement de multiples alarmes dans ses systèmes. Il avait conscience de n'avoir pas le choix et cela lui permit de passer outre les messages d'alarme qui s'éteignirent les uns après les autres. Dans Auroville personne n'avait voulu se présenter contre lui lors du dernier vote et ici, aucun des enfants n'était en mesure de prendre le poste. Malgré tout, ces élections tronquées continuaient de perturber son système. Il prit acte de son rôle de responsable de la Terre entière, bien décidé à apporter bonheur et prospérité aux humains qui la peuplaient. Il avait bien conscience de ne pouvoir espérer préserver l'autonomie de la planète par la voie militaire, mais maintenant que l'empire solaire était vaincu il existait une voie pour la diplomatie. La diplomatie était un sujet qu'il maitrisait bien, cela faisait partie des logiciels qui lui avait été implémentées à sa mise en fonctionnement, bien des années auparavant.

Utilisant les systèmes de communication de l'astroport de Puerto Madryn, il contacta chaque planète une par une, avec, à chaque intervention, un message personnalisé selon ses connaissances du fonctionnement de chaque structure. Son travail était largement facilité par les multiples données sur chaque planète qui lui avait été fournies au moment de sa mise en service et maintenant actualisées par les éléments stockés dans les ordinateurs de Siamois.

Il hésita un peu au moment de signer chaque message sur le titre qu'il devait adopter pour lui, faisant défiler les différentes appellations utilisées par les responsables des nations terriennes avant la grande catastrophe. Finalement, son choix s'arrêta sur un sobre « Template, représentant élu des Terriens ». Il se rendait bien compte de l'ambiguïté de sa formule. Devoir préciser qu'il avait été élu prouvait que cela n'allait pas de soi. On lui avait appris que quand un pays avait besoin de préciser qu'il était démocratique, c'est que justement il ne l'était pas. Il garda le terme « élu » pourtant, conscient que ce vieux concept, semblant évident avant, était maintenant largement minoritaire dans l'univers. Il voulait le porter comme un étendard, continuer à le faire vivre, que tous ceux qui y avait renoncé se rappellent son parfum unique.

Il décida de rester avec les néo-humains en attendant la conférence de paix et envoya un message en ce sens aux habitants d'Auroville. Il avait beaucoup de travail pour restaurer l'humanité des enfants de Puerto Madryn qui n'avaient jamais connus le libre arbitre. La cité sous-marine n'avait pas besoin de lui, son fonctionnement était optimisé depuis longtemps pour assurer le plus grand bonheur possible à ses habitants qui ne manquaient de rien.

Initialisant ses logiciels pédagogiques, il commença à réorganiser l'enseignement fait à Puerto Madryn par les robots pour en rapprocher le contenu de celui d'Auroville. Les enfants d'ici avaient tant à apprendre sur la vraie histoire de leur monde, tellement de connaissances à acquérir pour un jour devenir des hommes selon la définition que lui avait légué ses concepteurs, il y a si longtemps.