Chapitre 6

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Sacha stressait depuis une bonne demi-heure. Le repas était prêt, et elle ne savait pas si elle était censée l'attendre ou non. Elle faisait les cent pas dans son appartement, regrettant mille fois de lui avoir proposé de venir. Un vacarme dans l'appartement d'à côté l'interrompit. Elle entendit son voisin sortir de chez lui avant de frapper chez elle.

— Désolé, souffla-t-il. Je n'ai pas vu l'heure.

Il avait l'air sincère, alors elle le laissa entrer avec un sourire plus coincé qu'elle ne l'aurait voulu.

— Qu'est-ce qui a pu te passionner au point de ne plus voir l'heure ? demanda-t-elle pour détendre l'ambiance.

— Des recherches, éluda-t-il avec un geste de la main.

Sacha l'invita à s'asseoir à table, et se rendit dans le coin cuisine. Elle priait pour que ce soit assez chaud. Revenant avec son plat, elle lui servit une bonne part, se disant qu'un grand gaillard sportif comme lui devait bien manger, avant de se servir elle-même une part plus petite. Elle retourna poser le reste dans la cuisine.

— Tu veux boire quelque chose ? J'ai de la bière.

— De l'eau, ce sera très bien. Je ne bois pas.

Elle ne commenta pas, mais son cerveau fourmilla, soudain très curieuse d'en savoir plus sur ce personnage. Elle revint dans son salon avec la bouteille d'eau, qu'elle posa après les avoir servis.

Il la remercia avec un sourire maladroit.

— Bon appétit, souhaita-t-elle.

Ils commencèrent à manger dans un silence pesant. Elle essayait de ne pas le fixer, mais tout chez cet homme inspirait le mystère. Ses yeux se posèrent naturellement sur ses gants, et elle ne comprit pas comment il n'étouffait pas avec. Suivant son regard, il s'expliqua :

— Mauvaise circulation...

Sans pouvoir l'expliquer, elle trouva cette explication... bancale. Il le disait comme s'il n'y croyait pas lui-même. Un nouveau blanc s'installa.

— Que fais-tu dans la vie ?

— Je ne travaille pas...

Il ne faisait vraiment aucun effort. Pourtant, il ne semblait pas ennuyé ou agacé. Juste... inconfortable. Bon, cette relation ne menait de toute façon à rien, autant qu'elle pose ses questions directement. Au moins, sa curiosité serait peut-être un peu repue.

— Je me posais une question... commença-t-elle en se mordant la lèvre.

Il leva les yeux de son assiette pour les planter dans les siens, attentif.

— Tu n'aurais pas travaillé dans l'armée ? Ou un truc du genre ?

Un léger sourire vint étirer la commissure des lèvres de Bucky. Pour des raisons obscures, la question l'amusait.

— Un truc du genre, confirma-t-il.

Sa réponse fit pouffer Sacha. Il pencha la tête sur le côté, fronçant les sourcils. Qu'est-ce qui pouvait être drôle là-dedans ?

— Excuse-moi, je ne me moque pas de ça. C'est juste... ça va être difficile d'avoir une conversation si tu restes énigmatique et que tu éludes mes questions.

Elle le disait avec un amusement un peu naïf. Elle ne savait pas que la quasi-totalité de sa vie était remplie d'horreurs. Que pouvait-il bien raconter ? Mais il décida de faire un effort. Ne serait-ce que pour que sa psychologue le lâche un peu la prochaine fois.

— Je n'ai pas vraiment le droit d'en parler.

Bon, ce n'était ni totalement faux ni totalement vrai. Il y avait une partie du musée de Captain America qui lui était réservée. Elle restait très peu détaillée sur ce qu'il s'était passé après sa prétendue mort, restant léger sur les atrocités qu'il avait pu commettre, et insistait sur l'aide qu'il avait apportée lors du combat contre Thanos. Il n'était pas aussi connu que Steve, et la plupart des personnes ne le reconnaissaient pas. Et ça lui allait très bien comme ça.

— Je vois. Des passions ?

Il réfléchit.

— Le sport ?

— C'est une question ? taquina-t-elle.

Il sourit, passant sa langue sur ses lèvres.

— Comment occupes-tu tes longues journées sans travailler ?

Il voulut s'enfuir. Comment pouvait-il avoir le moindre ami ? La moindre relation ? Il n'avait rien à voir avec le reste du monde. Il passait ses journées à s'ennuyer, hanté par le passé. Mais il ne pouvait pas le dire.

Sacha sentit que sa question le mettait mal à l'aise. Laetitia ne pourrait pas dire qu'elle n'avait pas essayé d'être gentille. Elle ne savait plus quoi faire.

— C'est vraiment bon, commenta-t-il après quelques secondes de silence.

— Ah oui ?

— Le poulet est vraiment bon.

Il avait vidé plus de la moitié de son assiette, ce qui représentait à peu près la quantité qu'il mangeait en deux jours.

Sacha sourit.

— Je l'ai acheté déjà cuit, rit-elle. Tu peux en acheter aussi, tu sais.

— Oh.

La jambe de Bucky commença à remuer sous la table. Il se rendait bien compte qu'il était incapable d'avoir une conversation normale avec quelqu'un. Sa seule relation humaine depuis la fin de la guerre était avec sa psychologue, et elle ne lui avait donné aucune clé pour réussir à tenir une conversation.

— Tu aimes cuisiner ? demanda-t-il.

— Pas vraiment, avoua-t-elle, amusée. Disons que je me contente du minimum syndical, même si j'évite les plats préparés.

Il n'était pas vraiment surpris. Ce qu'elle lui avait servi avait beau être simple, c'était bien meilleur que tout ce qu'il pouvait acheter.

— Et toi ? Tu cuisines ?

Il répondit par la négative.

— C'est dommage, tu dois avoir beaucoup de temps à occuper, et c'est plutôt bon pour décompresser.

Elle lui envoya un regard entendu. Bien sûr qu'elle faisait référence à ses cauchemars. Les murs étaient si fins qu'elle devait l'entendre. Il baissa les yeux vers son assiette, remua sa fourchette dans ce qui restait. Il n'en pouvait plus, son estomac ne pourrait rien avaler d'autre. Il s'en voulait de l'empêcher de dormir correctement, et il ne savait pas quoi faire pour changer ça.

— Ce n'est pas grave, souffla-t-elle avec un sourire.

Il la regarda sans comprendre, ce qui la fit rire.

— Tu es plus expressif que je ne l'aurais pensé. Je lis la culpabilité sur ton visage. Je ne sais pas ce que tu as pu vivre, mais je devine que ça a dû être difficile.

La gorge de Bucky se noua. Il garda le silence, la regardant droit dans les yeux tandis qu'elle continuait.

Sacha se sentait peinée pour lui. Grâce à ce repas, elle comprenait un peu mieux qui il était, et cela expliquait son comportement. Comment pouvait-elle vraiment lui en vouloir ?

— J'accepte tes excuses d'hier, aussi nulles qu'elles étaient.

Son sourire était sincère, Bucky en était certain. Une chaleur inconnue le prit à la poitrine et il ne put que sourire en retour. Il murmura un merci presque inaudible.

Mon enfoiré de voisin {Bucky Barnes}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant