[ 26 ] Fascination, fiole et euphorie

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[ Île des Az'Driss, Triangle des Bermudes,
03 Mai 20**,
12H23 ]

[ Taima ]

Lorsqu'on s'entraîne d'arrache-pied pour réussir quelque chose, il semblerait qu'il y a deux façons bien distinctes de progresser : s'améliorer petit pas par petit pas, ou stagner jusqu'à réussir d'un seul coup à la perfection. Et il semblerait que moi, aujourd'hui, c'est le deuxième chemin que j'emprunte.

Oh, il y a bien une troisième possibilité à tout cela : ne pas réussir du tout. Mais cette voie-ci est impraticable.

Mon ventre grommelle son mécontentement, mes canines s'extirpent hors de mes gencives et mon corps se tend de lui-même vers l'avant pour que mes mains attrapent la poche de sang presque noir qu'Azaz agite sous mon nez depuis tout à l'heure. D'une main, il la lève hors de ma portée, et place l'autre sur mon visage pour m'arrêter en plein assaut, le tout en soupirant.

Un petit cri rageux m'échappe.

— J'en ai assez !

Je me rassieds sur le sable de la grotte, croise les bras et me détourne d'Azaz juste à temps pour le voir refermer la poche rouge. L'odeur, à la fois métallique et envoûtante, cesse d'en émaner, même si elle persiste autour de nous. Je me demande s'il la perçoit aussi distinctement que moi.

La chasse : voici le seul moment où mon sens de l'odorat est amplifié, emportant avec lui le sens du goût.

Mais je ne suis pas en pleine traque, à écumer les bars de nuit à la recherche de viande saoule. Je suis en plein « entraînement » et c'est une catastrophe...

Des mains, grandes, d'une douceur infinie et couvertes de minuscules écailles mauves et bleu pâle, enlacent ma taille. Je me laisse tomber en arrière pour m'avachir le plus confortablement du monde contre le grand buste d'Azaz. Je ferme les yeux, respire son odeur de sable chauffé par le soleil. Il dépose un baiser sur le sommet de ma tête, passe ses doigts dans mes mèches de cheveux ébène.

— Tes cheveux sont si doux, murmure-t-il.

Je ris.

— Je crois que tu as une sorte de fascination pour la chevelure des humains, nan ? demandé-je en prenant sa main pour caresser du pouce les écailles claires qui se trouvent au dos.
— Ne sommes-nous pas tous fascinés par ce qui nous est étranger ? chuchote-t-il encore.

Je souris. Il a raison. Je suis intriguée par chaque différence que je découvre entre les Ases et les humains. Mais elles ne me font pas peur. Au contraire, je les aime.

— C'est la cata'... reprends-je d'un ton bougon.

Azaz frotte vigoureusement mes bras de ses mains souples pour me remotiver.

— Mais non, mais non. Tu vas réussir. Cela prend juste un peu de temps. Comment dites-vous déjà ? Romulus ne s'est pas fait en une journée ?

J'explose de rire, si bien que je glisse sur le sable pour finir allongée, la tête appuyée sur la cuisse d'Azaz. Sa queue bat l'air et le sol.

— Non, Romulus s'est plutôt fait en neuf mois !

J'ai droit à une pichenette sur le nez pour m'être moquée du grand Sage'Sang Az'Driss, ce qui me fait rire plus encore. J'adore la tête que tire Azaz lorsqu'il est offusqué, et je ne me prive pas de l'asticoter. Mais c'est toujours bon enfant, je ne veux pas le faire fuir.

— Comment as-tu fait pour te faire passer pour un humain ? Sérieusement ? Tu te plantes en permanence dans les expressions et les adages !
— Je faisais toujours croire que j'étais étranger et ça passait crème, explique-t-il rapidement. Et au lieu de te moquer de moi, dis-moi plutôt quelle est la bonne phrase !
— Mais si je le fais à chaque fois, tu ne te tromperas plus jamais et ça ne fera plus partie de ton charme !

TRINITY - Tome 3 : Rencontre du troisième typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant