[ 46 ] Ascenseur, verre et vipère

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[ Washington D.C, U.S.A,
04 Juin 20**,
5H31 ]

[ Trixie ]

L'ascenseur met du temps à nous mener jusqu'au sommet du bâtiment le plus moderne du laboratoire Nettie Stevens. C'est un serpent de verre et de métal, biscornu, qui semble se dresser hors de sa cachette souterraine pour aller dévorer la Lune. Le carillon aigu de l'élévateur sonne, les portes de métal lisse s'écartent.

C'est un immense salon à la décoration slave qui nous accueille. Au lieu de convives pour animer ce salon, ce sont plus d'une trentaine de soldats armés de mitraillettes qui se tiennent là. Avant même qu'ils n'aient le temps de tirer, Tjana nous protège en nous englobant d'un champ de force. Ayant laissé la peur derrière nous, c'est avec détermination que nous avançons. Le champ de force fait ricocher les balles loin de nous. Mes volutes écarlates s'enroulent autour des tireurs dès que nous passons à leur niveau pour les jeter par les fenêtres se trouvant à droite et à gauche, brisant les vitres au passage. Nous n'avons rien à faire de ces gens-là. Nous nous en débarrassons seulement parce qu'ils sont gênants. Ce que nous voulons vraiment atteindre, c'est la porte que nous fixons à l'autre extrémité du salon.

Nous nous arrêtons devant la porte en bois de chêne, surmontée d'une caméra de surveillance qui nous fixe impunément. Elle a même l'audace de bouger pour nous prouver que nous sommes observées. Qu'importe. Le champ de force de Tjana s'évapore. Le regard sévère derrière son masque bleu électrique, Taima clanche la poignée. Dans un fin grincement, la porte dévoile un grand bureau circulaire prenant des allures de centre de commandement, avec ce massif bureau en arc de cercle, ces machines présentant les constantes vitales de dizaines de Hulks et ces parois vitrées offrant une vue plongeante sur les combats qui font rage tout autour du laboratoire. Malgré les lumières incendiaires de la rue se reflétant dans les vitres, prouvant à quel point nous sommes proches du chaos, ici, il n'y a presque aucun bruit pour déranger le ronronnement des machines aux formes épurées futuristes.

Deux silhouettes noires, statiques, se découpent dans les lueurs apocalyptiques. L'une est la haute silhouette d'une femme, l'autre est celle, impresionnante, d'un homme. Lentement, en synchronisation, elles se tournent vers nous. Sous la lumière tamisée des plafonniers, un quarantenaire aux larges épaules habillé d'un impeccable et fastueux costard noir, aux yeux pâles, perçants et dédaigneux, aux lèvres pincées et aux sourcils si froncés qu'ils créent des sillons entre ses deux yeux, nous fait face, en compagnie d'une jeune femme droite comme un « I », ses cheveux tirés en un chignon impeccable et des écailles noires formant une constellation sur son œil gauche. Ses paupières sont abaissées et la nuance de ses iris, indiscernables. La femme, qui doit avoir à peu près mon âge, redresse d'un coup la tête, les yeux grand ouverts, nous affontant du regard sans peur.

Malgré moi, je suis prise au dépourvu par la couleur de ses yeux. Autour de ses pupilles fendues, ils sont d'un vert incroyablement clair et doux comme une nouvelle pousse, presque translucides.

Cette femme ne devrait pas être là, n'arrivé-je pas à m'empecher de penser. Elle ne devrait pas participer à des complots envers sa propre race, ni à une guerre en plein Washington. Ses yeux à la couleur pure ne devraient ni voir, ni vivre d'horreurs... et pourtant, une autre petite voix me souffle qu'au contraire, cette femme aux iris verts est dans son élément. Quelle voix croire ? La naïve ? La pessimiste ? Les deux ? Mais cela ne reviendrait-il pas à n'en croire aucune ?

Nous restons là, à nous observer en chiens de faïence, pendant plusieurs longues secondes qui s'égrainent et qui s'étirent comme autant d'heures. Pourtant, une autre question me taraude : si la première personne est Nikita Dmitriev, qui est la seconde ?

— Eléna...

C'est la première fois que j'entend la voix de celui qui représente notre plus grand ennemi. Elle est grave, profonde sans être roque. Elle fait vibrer mes os et semble venir des profondeurs d'une fosse, prête à nous emporter et nous y faire sombrer.

— Attaque.
— Da, Mister.

Nous nous mettons en garde, les sourcils froncés d'anticipation, mais en même temps déterminées. Pourtant, celle qui répond au nom d'Eléna ne bouge pas d'un cil. Elle se contente de nous regarder intensément... comme si elle lisait à travers nous...

Non !

J'ai saisi, mais trop tard !

Les glapissements et râles de souffrance de Tjana et Taima lorsqu'elles tombent à genoux en se tenant la tête me le confirment. Je me précipite vers elles, mais les voilà déjà effondrées sur le plancher.

Non, non, non !

Até lance le voile écarlate sur mes sœurs pour les protéger. Pourquoi ai-je établi qu'Eléna était obligatoirement une combattante physique et non une guerrière psychique ? Une vive douleur aiguillonne mon cerveau. Une attaque mentale. On essaie de violer les secrets de ma conscience et de mon inconscient. J'essaie d'y résister. Mon esprit, comme ma vision, se trouble. Je suis aspirée contre mon gré vers la noirceur et les profondeurs de mon propre esprit.

Impossible.

Cette femme ne peut pas être plus forte que moi, qui suis passée maîtresse dans l'art de l'illusion et de la manipulation mentale. Si ? La dernière chose que je vois en m'effondrant sont ses yeux vert translucide. Froids. Des yeux de vipère.

TRINITY - Tome 3 : Rencontre du troisième typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant