[ 35 ] Virée shopping, gendarmerie et vin rouge

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[ Victoria, Colombie-Britannique, Canada,
18 Mai 20**,
12H03]

[ Trixie ]

Ginger gare le pick-up sur le parking à peine utilisé. Isaac et moi sautons du plateau arrière du véhicule pour atterrir sur le macadam grisonnant. Après ce tour de manège improvisé qui nous a bien amusés, je dois remonter mon short noir, renouer ma chemise à carreaux et rattacher mes couettes à la base de ma nuque. Imitée par Alysse, Ginger claque la porte du vieux 4x4 au rouge délavé datant des années quarte-vingt et le verrouille à clef.

— Bon, on va d'abord s'occuper des truc « normaux », explique la rousse en mimant des guillemets avec ses doigts, puis on ira vers les trucs bien chelous. Ça vous va ?
— Oui chef ! plaisantons-nous en imitant des soldats du dimanche.

À l'Arche, nous essayons d'être les plus autonomes possible afin d'éviter au maximum les excursions en ville et de rester invisibles — ce qui n'existe pas n'a pas de problèmes. Par exemple, grâce aux nombreux carrés potagers et à quelques bons pêcheurs, une bonne partie de nos besoins alimentaires sont assurés. Mais ce n'est pas si simple de se passer de la société de consommation et des technologies très utiles qui en ressortent.

Liste en main, nous passons dans un supermarché pour acheter quelques aliments de base : poivre, sel, farine, sucre, lait, bières, etc. La rousse en profite pour trouver les fameuses bandes dessinées que lui a demandées Lev. Taima nous a aussi demandé de trouver quelques composants électroniques pour elle et Alejandro. Là, c'est Isaac et moi qui nous en chargeons, pendant que Ginger et Alysse se rendent à une station essence pour remplir des bombonnes de gaz. Finalement, il faut aller récupérer du sang. Beaucoup de sang.

Ginger conduit jusqu'à l'arrière d'une clinique en bordure de la ville. La façade n'est déjà pas bien accueillante, mais la face arrière et largement plus lugubre avec son béton coulé grisâtre, ses arbustes chétifs, son macadam craquelé agrémenté de nids-de-poule ou encore son cadavre de voiture reposant là depuis un temps. Alysse, Isaac et moi échangeons quelques coups d'œil peu convaincus. On va ressortir d'ici avec des globules rouges coagulés...

— Ne tirez pas des têtes pareilles, intervient Ginger. Cette clinique ne semble peut-être pas très encourageante comme ça, mais, à votre avis, où est-ce qu'on peut bien se fournir en sang humain ? En grande quantité, en plus.

Elle n'a pas tort... Plusieurs dizaines d'entre nous ayant atteint la puberté, et ayant donc besoin de sang humain pour rester en bonne santé, ne peuvent pas sortir en ville, de nuit, pour chasser. Il faut être discret. Il faut aller voir une personne à la morale pas trop rutilante et à la patte prête à être graissée...

Nous récupérons les glacières sur le plateau du pick-up et passons la porte grinçante après Ginger, sans toquer. C'est une femme de couleur, à l'air froid et au vêtement impeccable, qui nous accueille. Lorsqu'elle nous voit arriver, elle pose sa cigarette dans une coquille Saint-Jacques et nous fait signe de la suivre. Nous la suivons dans une pièce froide, toute blanche, remplie d'étagères en métal qui ne contiennent manifestement que des poches de sang frais. La femme remonte ses dreadlocks grises à l'aide d'un gros choucou et commence à remplir une glacière de poches rouges.

— Dépêchez-vous, les enfants, on a pas la journée et les vôtres doivent s'impatienter... nous encourage la femme.

Ginger nous fait signe de vider l'étagère qui nous fait face pour tout transvaser dans nos huit glacières.

Finalement, cette femme n'est peut-être pas une patte à graisser. Peut-être fait-elle tout ceci par aquis de conscience, comme tout médecin ayant juré avec ferveur de respecter le serment d'Hippocrate. Depuis quand est-ce que je juge si mal les gens au premier coup d'œil ?

TRINITY - Tome 3 : Rencontre du troisième typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant