[ 48 ] Notruth Land

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[ Notruth Land

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[ Taima ]

J'ai l'impression que ça fait des jours que je marche, seule, dans ces plaines. Je sais où je suis, mais pas pourquoi. Ce sont les paysages qui entourent la ville de Windows Roch, le chef lieu de la nation Navajos, la ville dans laquelle je suis née et dans laquelle j'ai passé les premières années de ma vie. Pourquoi suis-je de retour ici ? Et surtout, pourquoi tout semble si vide ? Il n'y a pas âme qui vive. Autrefois, j'allais jouer avec les autres enfants de mon école, nous croisions des adultes en balade, la ville se profilait à l'horizon entre les monticules de pierres ocre. Mais là, il n'y a rien ni personne pour me dire bonjour, m'adresser un sourire amical ou m'indiquer mon chemin. Je croise à peine un lézard, pourtant nombreux à se réchauffer sous le soleil dans mes souvenirs.

Du mouvement attire mon attention. Un tissu bleu est agité par le vent. Je m'en approche, d'abord doucement, puis cours en comprenant ce que c'est. Ou plutôt, qui c'est. Je reconnais cette chevelure châtain immensément longue. « Maman ! » hurlé-je en me jetant genoux à terre. Une hésitation m'empêche d'abord de prendre son corps entre mes bras. Mes larmes coulent instantanément sur la peau hâlée de son cadavre dont le soleil a accéléré la décomposition. « Maman... Pourquoi ? Que faisais-tu ici ? Pourquoi revenir alors que je croyais que tu avais refait ta vie pas loin de Seattle ? Le détective Cho ne t'as pas protégée ? ». Une rumeur enfle sans prévenir en moi. J'essaie de la contraindre pour réfléchir et comprendre, mais il y a des choses que l'on ne peut pas arrêter une fois qu'elles sont lancées au galop comme une harde de chevaux fous. Les digues, que j'érige depuis toutes ces années autour de la peur étouffante du sort de ma mère, cèdent. Ce ne sont plus des larmes qui coulent de mes yeux mais un torrent de lave.

Des doigts, brûlés par le sable et grignotés par les rongeurs, attrapent mon bras. Je lâche un cri lorsque mes yeux croisent ceux, aveugles et blancs, de ma mère. « Tu ne m'as pas protégée, Taima, débute la voix d'outre-tombe. Tu m'a laissée toute seule, tout ce temps. Ton père est mort à cause de ces pouvoirs d'oiseau éclair. Moi aussi. Toi aussi... »

L'envie de fuir me saute à la gorge, mais je veux aussi comprendre. « Mais papa est mort quand j'avais sept ans ! Mes pouvoirs étaient encore latents à cette époque...

— Tu avais déjà le pouvoir de détruire la vie des autres à l'époque... » dit ma mère en se redressant. Kushi tend sa main desséchée pour attraper ma gorge et me faire basculer en arrière. « Tu as tué ton père. Tu m'as tuée. Tu as tué celui qui nous logeait et nous nourrissait...
— Cet homme était un monstre ! rappelé-je en me débattant.
— Tu as tué tous ces gens au nom de ton travail... ». Je parviens à me dégager de son emprise et à courir droit devant moi. Le cadavre de ma mère me poursuit rapidement malgré quelques muscles entamés par les bêtes. « À chaque fois, qu'importe où tu vas, tu fuis en laissant derrière toi mort et désolation.

— C'est faux ! »

Je galope à en perdre haleine, soulevant des nuages de poussière rouge à chaque foulée. Pourquoi ma mère me dit-elle de telles horreurs ? Ce n'est pas la vérité. Ce n'est pas la vérité ! « Tu ne tues pas pour ta survie, mais car tu aimes ça ! Tu aimes tuer ! ». J'arrête de courir et me retourne. Je voudrais réfléchir et savoir que faire, mais tout se mélange en un sac de nœuds gluants dans ma tête.

Les larmes recommencent à couler abondamment. Mon cœur est sur le point de s'arrêter de battre, transpercé par ces mots plus efficaces que des balles 13 mm. « Tu as tué ton père, tu m'as tuée, tu as tué celui qui nous logeait... » répète Kishi en se rapprochant de moi. Je recule. « Tu as tué ces gens au nom de ta propre survie alors qu'ils avaient des familles, et tu as tué tes sœurs, poursuit-elle en s'approchant toujours plus de moi.

— C'est... C'est faux... sangloté-je en reculant encore, attaquée par la pestilence de décomposition qui s'échappe de la peau brunie.

— Tu en es sûre ? »

Mon talon rencontre le vide. Je trébuche en arrière, dévale une pente rousse. Lorsque j'atteins le bas, je ne perds pas mon temps pour me redresser. En hauteur, comme une poupée dont on aurait sectionné violemment les fils, la cadavre s'effondre et suit le même chemin que moi. Je recule précipitamment. Le corps arrête de rouler à quelques mètres de moi, mais ma main rencontre autre chose de mou. Je bondis de côté. Un nouveau cri s'échappe de mes lèvres lorsque je trouve les cadavres de Trixie et Tjana, dans le même état que celui de Kishi.

Je n'ai même pas le temps de hurler de désespoir ou d'avoir l'idée de secouer les corps dans le fol espoir de les voir revenir à la vie, que des voix s'élèvent non loin. « C'est de ta faute ! C'est de ta faute ! C'est de ta faute ! » La plaine formée de rocaille ocre et d'arbustes touffus est semée de corps inertes à perte de vue. Mais une chose est certaine : ils ont tous les yeux grand ouverts rivés sur moi. « Meurtrière ! Meurtrière ! Meurtrière ! Egoïste ! Egoïste ! Egoïste ! » tonnent en même temps ces centaines de voix. « Toi et ta soif de sang incontrôlable, vous êtes un danger pour tous ! » Même celles de mes grandes sœurs et de ma mère s'y joignent.

J'écrase mes oreilles avec mes mains en gémissant. La lumière décline. Je redresse le visage vers le ciel. Des nuages sombres, intimidants et mugissants se sont formés au-dessus de moi. Ils éclatent. En quelques instants, la terre orangée s'est transformée en boue, mes vêtements se sont imbibés d'eau et mes larmes ont à leur tour été noyées par les grosses gouttes s'écrasant sur mon visage. Le vent souffle si fort que j'ai du mal à ne pas être emportée par les rafales sifflantes alors que je reste avachie au sol. Les trombes d'eau sont remplacées par des éclairs qui fendent le paysage, du ciel vers la terre. Dans un bruit explosif, ils frappent la terre autour de moi, la faisant trembler, tout comme mon corps prostré. Pourquoi... Comment ai-je soudainement peur des éclairs ? Je me recroqueville sous la tempête. Ces fulgurations bleues vont prendre ma vie... 

TRINITY - Tome 3 : Rencontre du troisième typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant