Chapitre 40

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Je suis folle de rage, humiliée. J'ai l'impression que ma réaction n'est pas légitime et que je réagis de façon disproportionnée. Pourquoi suis-je incapable d'apprécier qu'un homme m'aime assez pour vouloir veiller sur moi ? Mais une autre partie de moi estime que ce combat est le mien et que je n'ai pas à me justifier de mes réactions. Je suis la victime, c'est mon histoire. C'est à moi de prendre les choses en mains. 

Je marche sans m'arrêter tel un automate, le vent glacial frappe mes joues et je ne sens presque plus mon nez. Mais peu importe, je continue d'engloutir les quelques kilomètres qui me sépare de ma bataille. Je ne fais même plus attention au téléphone qui vibre dans ma poche sans s'arrêter depuis que j'ai quitté l'appartement de Toby. Il y a quelque mois, j'aurais culpabilisé de le laisser sans réponse, de l'inquiéter mais aujourd'hui je ne pense plus qu'à moi, je suis ma priorité. Alors, j'éteins mon portable. 

J'arrive finalement, essoufflé et frigorifié devant cet immeuble moderne qui mélange sans conviction couleur fade et criarde. Il est planté entre deux bâtiments anciens, comme un doigt d'honneur vulgaire au passé, gâchant sans honte le paysage urbain. Machinalement, je tape le code de la porte d'entrée et pénètre dans le hall. Même les murs blancs sont immaculés, aucune trace de vie. Seul l'odeur de patchoulis des produits ménagés sans doute utilisé dans l'après-midi, permettent de savoir que l'endroit est habité. 

Je grimpe les marches deux à deux et ne reprends mon souffle qu'une fois sur le bon pallié. Sans hésitation, je tambourine sur la porte en bois fixant les chiffres dorés. J'attends quelques secondes, rien. Je brise le silence une seconde fois, me demandant si Monsieur Muller, le voisin, va débarquer pour se plaindre du bruit comme à son habitude. Mais même lui n'apparait pas. Je ne quitte pas le judas des yeux, comme pour le défier de m'ouvrir. 

Plus les secondes passes, plus je me sens ridicule d'être ici, qu'est-ce qui a bien pu me passer par la tête pour croire que l'affronter était une bonne idée ?Toujours rien, pas un bruit mais je ne peux me résoudre à partir. La porte s'ouvre enfin, doucement, prudemment. 

— Marly ? me demande Augustin que j'ai visiblement réveillé. 

Comment ose-t-il dormir sur ses deux oreilles ? Son timbre de voix désinvolte contraste avec mon visage fermé. Le voir là devant moi, m'agresse, m'enrage. Je le pousse pour passer le seuil de son appartement mais ne dépasse pas l'entrer. 

— D'accord... Je peux savoir ce que tu me veux ? 

Il joue l'innocent, me prends de haut comme si je n'avais pas ma place ici. Comme s'il avait déjà oublié sa scène à l'Exil quelques heures plus tôt. 

— Ne te pointe plus jamais de ta putain de vie à mon boulot ! Ne met plus jamais un pied dans ce bar c'est bien compris ? 

Il ricane. Je suis déstabilisé par sa nonchalance. 

— Tu as compris ? 

Cette fois ci ma voix s'effrite, je n'arrive plus à faire face. 

— Sinon quoi Marly ? Qu'est-ce que tu vas me faire si je viens dans ton petit bar de bouseux ? 

Le voilà, son vrai visage. Il sait qu'il prend le dessus, je le vois dans ses yeux. Il se rapproche jusqu'à me coller contre la porte d'entrée qu'il avait pris soins de fermée derrière moi. 

— Alors dis-moi, tu vas faire quoi ? M'envoyer ton mec me menacer ? 

— Je n'ai pas besoin de lui pour me défendre. 

— Alors tu es venu jusqu'ici pour me dire ça ? Ou tu es venue pour autre chose ? 

Sa voix se gonfle de désir, la chaleur que son corps diffuse m'étouffe. Je suis pétrifiée, j'ai envie de le repousser mais mes bras ballants ne répondant plus à mes implorations. Ma bouche sèche, n'est plus qu'une excroissance de moi-même, elle ne m'appartient plus. 

— Mais c'est ça ! Tu es ici pour que je m'occupe de toi hein ! souffle-t-il dans mon oreille posant ses mains sur mon corps comme s'il reconquérait ce qui était jadis son territoire. Je savais que tu viendrais me supplier. Tu ne peux pas t'empêcher de revenir en courant. 

Ses mains, la manière dont il s'approprie ce qui est à moi, son odeur, sa salive, tout m'écœure de lui. 

— Ne t'approche plus jamais de moi ou ma famille ! 

Enfin je le repousse. Hurlant mes mots non plus comme une possibilité mais comme mes conditions.Il ne comprend pas, nous ne parlons plus la même langue. 

— Ne dis pas de bêtise on a besoin l'un de l'autre, c'est pour ça que tu es ici ! Parce que tu m'aimes et que je t'aime aussi ! 

Il ne lit pas la crainte dans mes pupilles. Il ne sent pas les frissons qui me parcourt, il reste insensible à mes tremblements. Il est aveugle, sourd ou ignorant. 

— Comment peux-tu croire qu'en disant des déclarations d'amour après des tonnes d'insultes j'aimerais revenir et que j'oublierais toute cette merde ? Je n'en peux plus de tes menaces, ta haine, ta violence, tu comprends ? Je t'ai toujours pardonnée parce que j'étais persuadé qu'on devait se battre par amour. J'ai voulu te sauver mais je ne pourrais pas le faire à ta place ! Tu as levé la main sur moi, tu m'as trompé et menti. Tu m'as toujours dénigré, espérant me concentrer sur mes défauts pour que j'oublie les tiens ! Il n'y aura pas de retour en arrière, j'en ai fini avec toi, je ne veux plus rien de toi, plus une seule seconde de mon temps ne te sera accordée. Demande de l'aide car tu mérites mieux pour ta vie ! JE mérite mieux que ça. C'est fini le temps où je cherchais désespérément ma propre valeur dans les yeux des autres et surtout dans les tiens. 

Je suis en nage, je n'ai même pas pris le temps de respirer. Je sors de son appartement sans lui laisser le temps de répondre avant de me raviser. 

— Un seul faux pas et je vais chez les flics, tu n'as plus le droit à l'erreur. Avec personne. 

Il reste là planté sans savoir quoi dire. Pour la première fois de ma vie j'ai réussi à le laisser sans voix.Quand je suis de retour dans la rue, je réalise ce qui vient de se passer. Des larmes dégringolent sur mes joues mais cette fois ci elles célèbrent ma victoire. Je suis forte. J'ai vaincu mes démons. Affronter l'ogre.

La loi de la jungleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant