8- 3 moments de bonheur

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Au grognement d'agacement de Felix, je comprends que ma présence n'est plus désirée, si tant est qu'elle l'eut été à un moment. Je m'éclipse donc de cette chambre en prononçant des salutations qui ne me sont pas rendues et quitte cette résidence l'esprit perturbé. Je sais pertinemment que je ne dois pas me faire remarquer en ce moment, étant sur la pile à problème du Doyen mais je commence à saturer devant la lourdeur de mon frère et de ses amis. Tandis que je décide de bifurquer vers mon refuge, des petits pas trottinent en ma direction.

- Attends, je te raccompagne, me propose Changbin.

Cela est peut-être très noble de sa part mais je ne crains strictement rien dans le campus. Avec autant d'étudiants à proximité, je ne vois pas ce qu'il pourrait m'arriver en plein après-midi.

- Ne t'embête pas. Tu peux retourner avec tes amis.

- Ca ne me dérange pas. Tu rentres chez toi?

- Non, je vais faire un tour en ville. J'ai quelqu'un à voir.

Il hoche la tête, comme s'il encaissait un coup puis me montre un visage rayonnant de sympathie. Je suis clairement mal à l'aise car je n'ai pas l'habitude qu'un inconnu se montre aussi bienveillant envers moi.

- Je vais prendre le bus à l'arrêt. On peut se quitter là.

- Tu en es certaine?

- Tout à fait. Bonne journée et merci encore pour ce que tu as fait.

En espérant que je ne le regrette pas. Changbin prend tout de même la peine de patienter avec moi le temps que le bus arrive puis me salue. Il affichait un air dépité en reprenant sa marche, me faisant penser que j'ai raté quelque chose.
Le malaise est palpable quelques minutes, puis ma vie reprend son cours. N'étant pas pressée, je parcours différentes librairies avant de rejoindre ma destination finale, Mapo. Cet immense quartier ouest de la capitale regorge de centres commerciaux et bâtiments en tout genre mais possède l'une des sept merveilles du monde, ma grand-mère.

- Mamie!

Avec ardeur, elle tente de continuer à disposer les corn-dog sur la grille afin que l'huile s'en écoule. Malgré son âge, ma mamie n'entend pas s'arrêter de vendre la nourriture sur son étale. Ses enfants étant éparpillés dans le pays, il n'y a personne pour reprendre l'affaire familiale. Le restaurant peut à peine accueillir six personnes et survit grâce à la vente à emporter effectué au niveau de la devanture. En quelques sortes, cela me rassure qu'elle ait abandonné l'idée d'ajouter le service à son calvaire. Les chaises ne servent plus qu'à se reposer entre deux clients.

- Besoin d'un coup de main?

- Non, je vais fermer après ces quatre derniers. Mais qu'est ce que tu fais là, ma petite? Il est dix-huit heures. Tu devrais être en train de t'amuser avec tes amis au lieu de trainer avec une vieille.

- N'importe quoi. Un, je traine avec les gens cool et toi tu l'es. Deux, tu n'es pas vieille. C'est un concept qui n'existe que dans la tête. Ta vie est plus trépidante que certaines personnes de mon âge donc ça réduit à néant ton argumentation. Regarde comment tous les papis te fixent quand ils trainent dans le coin.

Je savoure quand je l'entends glousser tandis qu'elle sert le couple. Assise à l'envers sur la chaise, je glisse un billet dans sa caisse et lui tends un bâtonnet afin que l'on profite de notre goûter.

- Garde ton billet. Je ne vais pas racketter ma petite fille.

- J'investis dans une entreprise florissante, c'est différent.

Après de multiples tours de passe-passe, je parviens à la faire abandonner et l'aide à tout ranger. Ce n'est pas la première fois que je donne un coup de main et attire les sourires sympathiques des commerçants aux alentours. Tous me connaissent et il est curieux de constater que je jouis d'une popularité sans nom auprès des octogénaires. Je suis pourtant consciente que ce n'est ni ma place ni mon rôle. Le seul de ses enfants présents sur Séoul devrait la soutenir mais il ne faut pas rêver. Mon père a choisi de se saigner en travaillant pour de grands groupes financiers. Il ne compte pas ses heures et ne prend pas soin de sa santé, dans l'espoir de nous assurer un avenir correct et de payer le prix exorbitant de la faculté. Voilà pourquoi je ne souhaite pas le décevoir et réduire à néant ses efforts avec mes stupides bêtises.

- Toujours amoureuse de l'ami de ton frère? Me demande Mamie en baissant le store.

- Toujours.

- Et quand vas-tu te décider à le lui dire?

Mon soupir répond pour moi. Ma grand-mère doit être ma plus grande fan dans cette histoire impossible. Cela fait des années qu'elle m'incite à dévoiler mes sentiments mais elle ne se rend pas compte que ce qu'elle considère jolie ne l'est pas pour tous. Dans un sens, elle entretient mon amour maladif pour un mec qui a à peine conscience de mon existence, mais dans un autre, elle est le soutien dont j'ai besoin quand je commence à baisser les bras. Comme en ce moment.

- Un jour... Peut-être.

- En tout cas, lui est amoureux de toi.

- Mamie, c'est juste dans ta tête. Je ne vis pas dans un k-drama. La vie ne marche pas comme ça.

- Ne m'écoute pas mais le jour où tu t'en rendras compte, viens tout de suite m'embrasser. Allez, prends un granité avant de rentrer, ça aide toujours à avoir les idées plus claires.

La réflexion par le gel du cerveau, il n'y a rien de plus probant. J'enfile mon sac et embrasse mon rayon de soleil avant de quitter les lieux, reboostée par cet amour sans limite.

Le soir, nous dînons enfin à trois comme la famille brisée mais recollée momentanément que l'on forme. Je ne fais nullement mention de la peine qui perdure tandis que j'entends le bruit de la vaisselle à chaque bouchée. Passer outre. Je me suis entraînée depuis mon plus jeune âge. Ma carapace est censée encaisser des chocs comme les pensées les plus cruelles des gens qui m'entourent mais il est des jours où l'on fait moins attention, où l'on est plus sensible. Et je crois que je ne m'attendais pas à ce que ces notes sur mon physique et ma personnalité me blessent autant.
Je suis consciente de ne pas avoir le corps de la plupart des filles populaires. Mes cuisses sont épaisses, tout comme mon visage est arrondi. Je m'y fais puisque mon corps est fait ainsi. Mais la société ne vous laisse jamais en paix lorsque le diktat de la minceur règne et rime avec beauté.
Être beau.
Être mince.
Être sociale.
Être parfait.
Être...

- J'emmerde la société...

Les cuillères retombent dans les assiettes devant le silence que je brise. Personne ne comprend ma brutale raideur. Tout simplement parce que ma famille ne prend jamais la peine de s'intéresser à ce que je ressens. Lasse de jouer ce jeu de famille idéale pour la soirée avant quatre jours d'absence de mon père, je quitte la table pour m'enfermer dans ma chambre.

Mes paupières se ferment à la recherche d'une paix intérieure. Je cherche alors trois choses qui ont illuminé ma vie, comme me l'a appris ma mamie.

Changbin et son aide auprès de Chan.
Le granité avec ma complice.
Et...

Mon téléphone s'illumine dévoilant un message de Chaeryeong.

ChaeTaime:
[ Toc toc ]

Moi:
[ Qui est là? ]

ChaeTaime:
[ Thomas ]

Moi:
[ Thomas qui? ]

ChaeTaime :
[ Thomas fait tourner la tête, Ryu ]

Le voilà mon troisième moment de bonheur. Après une avalanche de coeurs, je décide de fermer les yeux et de me promettre d'être plus forte demain.

Instant CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant