Instant Crush

22- Droit dans les yeux

Mon attitude a clairement changé depuis ce soir-là dans le jacuzzi vis-à-vis de mon ancien crush, Soobin. J'ai l'impression de m'être réveillée d'un doux rêve et d'observer ma meilleure amie qui en profite encore. Regarder les amis de mon frère à chaque moment de leur vie me lasse. Peut-être est ce parce que j'ai enfin trouvé quelqu'un qui me porte de l'intérêt ?

— C'est génial. On est toutes les deux en couple! Jubile Chaeryeong alors que nous marchons en direction de la cafétéria.

— Minute papillon, je l'ai juste invité à boire un verre. Rien de plus.

Et je n'ose pas lui dire que se retrouver en cachette pour s'envoyer en l'air et faire comme s'ils ne se connaissaient pas en public n'est pas une relation saine pour elle.
Je prends divers aliments qui me plaisent sur les comptoirs, malgré les regards de jugement que mes lancent les filles au régime.

— Et quand est ce que Zorro va annoncer publiquement votre relation? Dis-je en toute innocence en me posant à une table.

— Tu ne connais pas l'adage: pour vivre heureux, vivons cachés. Et bien je peux t'assurer que c'est vrai. En ce moment, je brille de mille feux. Et Hyunjin aussi.

Pourtant ça n'empêche pas mon amie de se décomposer lorsque Yeonjun passe devant elle pour jeter son plateau et fait tomber sa pomme à côté. Quand je me rends compte qu'il n'a pas l'intention de la ramasser, je ressors ma cape de chieuse invétérée.

— Il te faut des lunettes, le playboy?

Mon souffle quitte mon corps quand il m'envoie son majeur et s'en va sans même me regarder. Pourtant j'arrive à décrypter l'expression sur son visage. Il est renfermé, colérique, agacé. Ce n'est pas une raison pour polluer notre environnement. Je ramasse le fruit et commence à fixer la zone sur son derrière que je veux toucher quand Soobin apparaît devant moi. La façon dont il me regarde m'apprend qu'il attend de voir ce que je vais faire. Mince, je repense à la fameuse soumission liée à la pseudo vidéo prise contre mon gré. Je souris à ce prince charmant du X et jette moi-même le déchet à la poubelle. Une fois assise, Chae m'attrape la main, inquiète.

— T'es sûre que tout va bien?

— Totalement.

J'adore m'écraser devant les gens...

— T'avais la cible à un mètre de toi, ton coeur doit palpiter. Tu veux qu'on prenne l'air et qu'on les suive?

— Non.

Il ne manquerait plus que ça.
J'invite mon amie à déjeuner sans prononcer le nom de nos crush de toujours et à se concentrer sur les problèmes dans nos vies.

— Tu crois que je plais à Changbin ?

— A qui tu ne plairais pas Ryu? T'es canon.

— A tout le monde. Je suis un trois.

Mon amie en laisse tomber son couteau et me regarde comme si j'étais une demeurée.

— C'est quoi ces conneries? Qui t'a dit ça?

Je ne peux pas lui avouer que j'ai espionné un groupe de garçons qui a livré ce qu'il pensait de moi d'une façon sincère mais cruelle.

— Personne mis à part moi.

— Alors t'arrête ça tout de suite.

Chaeryeong se saisit de ma main et nous entraîne hors de cette cafétéria en bousculant toutes les personnes se trouvant devant son chemin. Lorsqu'elle nous fait grimper dans un taxi, je comprends quelle est notre destination finale mais ne l'empêche pas d'agir. Nous nous arrêtons devant un bâtiment à l'abandon et passons les portes défoncées par les squatteurs pour atteindre la salle à l'étage au-dessus. Celle-ci a un pouvoir particulier. Elle vous oblige à faire face à vous-même, sans attirail, sans mensonge.

Chaeryeong me balance au milieu de la salle de danse dont les quatre pans de mur sont recouverts de miroir, brisés pour la plupart. Mon visage me juge car il sait ce qui va suivre.

— Allez, vas-y, fais-le.

Je me redresse et inspire pour me donner du courage en sentant mes petits doigts trembler.

Il y a des années, un jour où nous étions rentrées toutes deux en larmes après une journée de harcèlement épuisante à l'école, ma grand-mère avait pris les choses en main et nous avait emmené de cette même pièce pour un exercice sans faux semblant. "Tu vas me dire tout ce que tu n'aimes pas chez toi et tu enlèveras un vêtement à chaque fois". J'avais alors réalisé que moins on s'aime et plus on a tendance à se cacher sous de multiples couches. Mais assumer son mal-être demande un effort épuisant comparable à se mettre à nu. Moins je m'aime et plus le résultat va être difficile à supporter.

Chaeryeong sait pertinemment la douleur que je vis actuellement car elle la ressent aussi en elle même si elle la cache sous son sourire et sa joie de vivre.

— Mes cuisses. Je n'aime pas mes cuisses.

Je déboutonne mon jean et le fais tomber au sol pour m'en défaire. Les miroirs me renvoient alors l'image de cette jeune fille aux cuisses plus rondes que les filles populaires accro à la K-pop.  Lorsque je bouge, je peux apercevoir la cellulite qui me rappelle qu'un malheur ne vient jamais seul et je sens les premières larmes couler sur ma joue.

— Mon ventre. Je n'aime pas mon ventre.

Je retire mon t-shirt pour dévoiler ce bidon plus épais que la moyenne.
Dans un élan de désespoir, je lui parle de mes chevilles, de mes mollets, de mon nez, de ma bouche, de mes bras et termine en larmes au sol à réaliser que malgré les années et la caparace forgée, je n'ai toujours pas réussi à m'aimer. Chaeryeong se rue vers moi et me serre si fort qu'elle me provoque un hoquet et nous permet de rire entre les gouttes dans cette salle pleine de douleurs.

— Tu sais ce que je vois moi? Une personne vraie. Tu veux réduire ton nez? Faire disparaitre ta cellulite? Tu penses que c'est en transformant ton corps que tu seras belle? Mais merde, Ryujin tu es magnifique naturellement. Et tout le monde l'est. Que ce soit avec des courbes, de l'acné ou des putains de cicatrices. Tu réalises que tu es belle au moment où tu décides de t'accepter. On est tous unique, imparfait alors ouvre les yeux. On va sortir de cette salle la tête haute et arrêter de se contenter des barrières qu'on nous a mises.

Ses yeux sont brillants de volonté et de courage. La jeune fille qui a baissé les bras plus d'une fois me tend aujourd'hui la main. Alors, je la saisis.

Je me rhabille et regarde chaque parcelle de peau que j'ai renié en lui demandant pardon. Mes imperfections sont ma beauté. Je le sais, même si c'est difficile à accepter.