61- Il n'y a pas d'âge pour ça

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Chaeryeong me paraît plus que bizarre tout au long de la journée. Trop silencieuse et souvent observatrice à mon égard. Quand je m'apprête à l'obliger à parler pour se confier, un message me prend de court.

Changbin:
[ Ryujin. Je sais que tu as mis fin à notre relation mais j'aimerais avoir l'opportunité de te parler une dernière fois. Est ce que tu accepterais de me retrouver devant la résidence de Felix ce soir à 19 heures? Je dois y passer dans la soirée pour déposer un colis. ]

Sa demande m'interpelle autant qu'elle m'intrigue.

— Tout va bien? Me demande Chae.

— Oui. C'est Changbin. Il veut qu'on se parle. Ça doit être au sujet de notre rupture. Il me propose de le rejoindre devant la résidence de Chan et Felix à 19 heures.

— Tu vas y aller?

— Je ne sais pas. Je pense. Ça nous permettrait de clore cette histoire sans tension. Après tout, il ne mérite pas que je garde les mauvais souvenirs de la dernière fois.

— Tu vas lui dire pour ton inconnu à qui tu donnes des cours?

— Je ne pense pas. Ça pourrait lui faire du mal donc autant éviter.

— Tu ne te dis pas qu'avouer la vérité serait plus simple, même si elle est douloureuse? Genre une bonne grosse douleur qui permettrait de se regarder en face.

— Changbin n'est pas quelqu'un de mauvais. Je pense qu'on n'était juste pas fait pour être ensemble. Je préfère qu'il passe à autre chose plutôt qu'il ressasse mon histoire naissante avec... Lui.

— C'est une vision des choses. En tout cas, tu as l'air de tenir à lui.

— Oui. Beaucoup.

Mes doigts se serrent nerveusement à l'idée que je confie sans qu'elle ne le sache mes sentiments pour son crush.

— Alors enlève les barrières que tu te mets, Ryu. Tourne toutes les pages dont tu auras besoin et sois enfin heureuse.

J'entoure mes bras autour des épaules de mon amie et l'attire contre moi pour un câlin forcé.

— Je suis heureuse avec toi.

— Mais je ne compte pas t'épouser, Ryujin. Tu as des goûts douteux en matière de musique et manque vraiment d'inspiration pour les vêtements.

— Les robes, ce n'est pas obligatoire dans une armoire.

— Non mais t'es sexy en short. Tu caches juste tes formes car tu ne t'assumes pas alors que t'es canon.

— C'est toi qui le dit et tu n'es pas objective.

— Je suis certaine qu'une autre personne le pense à cette heure-ci.

Acceptant la main qu'elle me tend, nous déambulons jusqu'à l'arrêt de bus où mon amie me laisse. Je vais rendre visite à ma grand-mère sur Mapo. Son absence de dimanche n'a rien d'inhabituel. Je sais de qui nous tenons notre besoin de vivre  notre douleur en solitaire.

Lorsque j'arrive face à la devanture du magasin, je suis surprise par le coup de neuf qu'il a pris. La salle vide qui n'accueillait plus personne a été repensée pour aider à la cuisine des mets.

— Dis-moi que tu as gagné au loto. Qu'est ce qui s'est passé en moins d'une semaine ici?

— Ah, ça c'est l'oeuvre de ton frère et des deux prétendants que je préfère. Soobin et Yeonjun, rajoute-t-elle pour m'éclaircir les idées.

— Ils sont repassés après mercredi?

— Bien entendu. Comme ils le font tous les trois jours. Il y en a un qui vient m'aider à chaque fois.

Son annonce me laisse sans voix. Je ne peux accepter ce qu'elle me lâche aussi facilement et l'invite à continuer à parler.

— Et je peux savoir depuis quand?

— Oh ma petite. Si tu savais comme je garde bien les secrets. Et celui avec ton... Comment est ce que tu appelles ça? Crush? Il est bien au chaud, rassure-toi.

— Je t'ai dit que je ne ressentais plus rien pour Soobin. Tout ça, c'est terminé.

Elle pouffe de rire en me servant une friture et m'incite à la manger en retrait pour ne pas gêner la clientèle.

— Comme si je parlais de lui.

Je manque d'ouvrir la bouche pour lui répondre mais fronce aussitôt les sourcils. Si elle ne parle pas de Soobin, alors qui prend elle pour mon coup de foudre?

— Mamie...

— Je savais qu'il te ferait sa déclaration tôt ou tard même si on va dire qu'au bout de huit ans, c'est quand même sacrément long. Même moi je suis rentrée dans la chambre du vieux Park plus rapidement.

Je crois que je vais vomir tout ce que je viens d'avaler. Ma grand-mère a une vie sexuelle...

— Attends. Tu as dit huit ans?

— Oups. J'ai dit ça, moi? J'aurais avoué à ma petite fille que le garçon qui a toujours adoré la piquer ne me parlait que d'elle, jusqu'à en oublier mes corn-dog dans l'huile? Je lui aurais dit qu'il faisait tout pour l'éviter pour respecter la volonté de son meilleur ami mais que cela lui pesait trop? Non, jamais je ne dirai ça car je sais garder les secrets.

Mon coeur bat un peu trop vite pour que je puisse respirer normalement. Je commence à prendre conscience de la cécité que je vivais vis-à-vis de Yeonjun. M'a-t-il aimé pendant toutes ces années?

— Mamie, je vais devoir te laisser.

— Tu vas le rejoindre?

— Oui. Enfin pas tout de suite. J'ai un point final à mettre sur une histoire puis une majuscule à une autre.

— N'oublie pas d'embrasser le prince charmant. C'est ma partie préférée dans les contes de fée.

— J'aurais plutôt cru "et ils eurent beaucoup d'enfants".

— Hum le sexe pour le faire oui, mais bonjour les emmerdements après.

— Je suis choquée...

— Oh, tu ne m'as pas encore entendu sur comment faire monter le levier après 80 ans. C'est tout un art.

Ça y est, il faut que je fuis. J'attrape mon sac et cours loin de cette femme pour éviter qu'elle n'ait un fou rire pendant que je rendrai mes tripes.
Mais je dois dire qu'elle a réussi à me redonner le sourire et après une journée comme hier, ce n'est pas du luxe.

Instant CrushOù les histoires vivent. Découvrez maintenant