Chapitre 11 : TFW

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Julie remercia le gérant quand il lui rendit la monnaie, et elle quitta la boutique peu de temps après.

Sa montre indiquait presque quatorze heures. Elle ne pensait pas avoir passé autant de temps dans l'épicerie. Et alors qu'elle s'apprêtait à repartir, quelqu'un l'interpela.

《 Mademoiselle ! fit le jeune homme de la boutique. Attendez ! 》

Julie attendit alors qu'il lui tendait une canette.

《 Qu'est-ce que c'est ?》 demanda-t-elle en désignant la boisson.

Il désigna une table à côté d'eux.

《 De la bière, répondit-il. Maintenant, nous devons parler.》

*

Il s'appelait Park Jihoon et il avait un an de plus Julie. Il se présentait comme un journaliste d'investigation et avait appris le français pour l'une de ses enquêtes. Sa voix était grave et avait un accent charmant - même assez sexy selon la jeune femme - quand il s'exprimait dans la langue de Molière.

En apparence, il était plutôt beau. Il était grand, mince et large d'épaules, avec une peau nette, des cheveux teintés en marron et de beaux yeux en demi lune. Cependant, sa mine paressait toujours sombre, comme s'il ne souriait jamais.

S'il tenait absolument à parler avec Julie, c'est parce qu'il menait une enquête sur l'agence où travaillait Sarah, c'est-à-dire Hybe. Et il était convaincu que la jeune femme lui donnerait les informations dont il avait besoin.

C'était ainsi qu'il l'avait résumé en buvant sa canette de bière.

《 Vous croyez vraiment que je vais vous aider ? lui demanda sarcastiquement Julie. Il s'agit tout de même de ma meilleure amie...

- Et de centaines d'employés ! ajouta-t-il. Avez-vous de quelle façon ils sont traités ? Ce sont des zombis ! Ils ne pensent qu'au travail et se rendent malades jusqu'à ne plus pouvoir manger et dormir, et en plus de ça, ils ont un salaire minable... À peine de quoi payer leur loyer. Vous qui venez de France, vous devriez savoir mieux que quiconque que ce traitement va à l'encontre des droits humains.》

Julie croisa les bras et détourna le visage. Il avait raison, mais elle refusait de trahir Sarah. Elle lui en parlerait une fois qu'elle serait rentrée.

Face à son silence, il poursuivit.

《 J'ai déjà quelques preuves, reprit-il sur un ton plus calme, et s'il le faut, je saurais m'en procurer d'autres. Est-ce que cela vous suffit pour que vous ayez confiance en moi ?

- Confiance en vous, non, argua-t-elle. Mais j'ai confiance en ce que vous dites.》

Elle repensa à ces paquets de nouilles instantanées qu'elle avait vu chez son amie. Ces petits plats n'étaient pas bien chers et faciles à préparer. Était-ce par manque de temps qu'elle ne mangeait que ça ? Julie repensa aussi à ce jeune danseur épuisé, qui n'avait pas le droit de faire de pause.

《Vous l'avez vu, n'est-ce pas ? dit-il en la tirant de ses pensées avec son accent et sa voix grave. Tout ce qu'ils subissent, vous l'avez vu de vos propres yeux.

- C'est à vous de me le dire, lâcha-t-elle sèchement en détournant le regard pour réfléchir tranquillement. Montrez-moi ces preuves.

- Je ne peux pas.

- Vous ne pouvez pas ?

- Je ne les ai pas sur moi...》

Forcément, se dit-elle en soupirant. Il était venu sans preuves, et en étant certain de convaincre la jeune femme.

Il sortit une carte de sa poche. Son nom était inscrit dessus avec son numéro de téléphone et quelque chose qui ressemblait à une adresse électronique. À part ça, il n'y avait pas le nom de son entreprise, ni même aucune autre information. C'était comme s'il voulait rester anonyme.

Il faut se méfier des gens comme ça, songea-t-elle. Leurs discours sont souvent séduisants, mais il cachent toujours un monstrueux iceberg.

《Contactez-moi dès que vous avez plus d'informations, lui demanda-t-il. Et surtout, ne dites à personne que vous m'avez rencontré.》

Elle acquiesça. Décidément, ces coréens étaient étranges : ils ne voulaient jamais qu'on parle d'eux, comme si chacune de leurs activités était clandestine.

Elle le salua et se remit en route avec son sac de course à la main. Julie n'avait pas vu l'heure défiler : il était quinze heures passées. En tant normal, elle ne parlait pas si longtemps avec des inconnus. Et elle s'asseyait encore moins à une table pour prendre une bière avec eux.

Est-ce que j'ai jeté la canette ? se demanda-t-elle en s'arrêtant à mi-chemin. Non... Mais il l'a sûrement fait, pas vrai ?

Julie fit tout de même demi-tour.

En arrivant à la table, il n'y avait plus la canette. En revanche, un petit papier était collé sur la table.

Si vous lisé ce papie, j'ai jeté la canete.

Bonne journée

《Ouf... merci, souffla-t-elle avant de repartir. Il parle peut-être bien français, mais l'écrire c'est une autre affaire...》

Cependant, une question s'imposait à son esprit : comme avait-il su qu'elle ferait demi-tour ? Ce Jihoon avait l'air d'être intelligent et très manipulateur. Il fallait qu'elle s'en méfie.

*

Lorsqu'elle rentra dans l'appartement, Sarah se jeta sur elle.

《Où étais-tu ? s'exclama-t-elle. Tu n'as pas vu l'heure ?》

Julie hésita avant de lui répondre. Mais finalement, Sarah reprit la première.

《Et c'est quoi ce chat dans l'appartement ? Ne me dis pas que c'est toi qui l'a ramené ?

- Mais il avait l'air affamé, se justifia Julie. En plus, c'est lui qui m'a suivie...

- Cela m'importe peu tu vois, fit Sarah en agitant ses mains en l'air, comme pour chasser une migraine. Attends... tu as acheté des croquettes ? 》

Julie comprit que chercher des excuses était désormais inutile. Elle résuma rapidement la situation à son amie pendant que celle-ci la débarrassait de ses sacs de course.

《Tu devrais dépenser ton argent pour des choses utiles, maugréa-t-elle, au lieu d'acheter tout ça... En plus, les fruits et les légumes coûtent vraiment cher ici !》

Julie acquiesça. Elle n'avait aucune idée de la valeur que représentaient quarante huit mille wons en euro, mais elle supposa que c'était beaucoup.

*

Sarah avait finit par céder et accepter que le petit chat reste une journée. Elles avaient laissé une gamelle de croquettes et un bol d'eau, sur lesquels il s'était immédiatement jeté.

《Il risque de beaucoup s'ennuyer seul à la maison, non ? fit Julie. On aurait peut-être dû lui prendre un jouet...

- Oh ! Ne commence pas ! s'exclama-t-elle. C'est toi qui a voulu le garder ce chat ! C'est ta responsabilité !》

Elle accompagna ses mots d'une bourrade amicale dans le dos.

《Nous devrions nous dépêcher si on ne veut pas qu'il y ait trop de monde...》fit remarquer Sarah en appelant un taxi.

Elle poussa Julie à l'intérieur avant d'y entrer à son tour. La jeune femme s'adressa au chauffeur en coréen, puis la voiture démarra.

《On va où ?》

Sarah sourit.

《Un endroit que tu ne seras pas prête d'oublier.》

Aucune BarrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant