Chapitre 51 - les adieux

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Arkos et moi sommes fin prêts et il est temps de dire au revoir à ma famille avant de quitter le château.

Si je n'ai pas réussi à faire abolir le rite, j'ai au moins gagné une bataille. Je suis exempté de la traditionnelle cérémonie qui précède normalement le grand départ du prince. Elle aurait tout de même eu lieu que jamais je n'aurais eu l'hypocrisie de me prêter au jeu. Simuler la fierté que ressentait Rodric avant son propre rite ? Faire comme si tout allait bien ? Comme si mon frère n'était pas mort pour cette cause perdue !

- Impossible ! -

Père a-t-il cédé pour éviter un nouveau drame familial ? Ou simplement parce qu'il a entendu et respecté mes arguments ? Nous ne le saurons jamais. Toujours est-il que ma sortie du château se fera sans fanfare ni escorte.

Avant de partir, je fais un détour pour embrasser Mère. Il est encore tôt et je la trouve dans ses appartements en tenue de chambre. Ses épaules dénudées sont entourées d'un épais châle d'hiver qui ne suffit pas à dissimuler le frisson qui la parcourt quand elle me voit franchir le seuil en tenue de voyage. Ella est assise au pied de son lit et je pourrai parier qu'elle a dormi ici la nuit dernière. Elle fait toujours cela quand elle est contrariée. Car si je lis de la tristesse et de l'inquiétude dans le regard de Mère, c'est bien de la colère qui brille dans les yeux de ma sœur.

Arkos a le don de détendre l'étrange atmosphère qui règne dans la pièce à cet instant. Il sait qu'il ne doit pénétrer nulle part sans y avoir été invité mais il ne peut s'empêcher de nous regarder en couinant de désespoir pour attirer l'attention. Et c'est une tentative réussie quand Mère me suggère de céder à ses supplications.

— Laisse-le entrer Amaël, ton père n'est pas là et je suis certaine qu'Ella meurt d'envie de lui dire au revoir.

Comme par magie, le principal intéressé a immédiatement compris ce qu'on attend de lui. Il se jette sur ma sœur en bondissant comme l'énorme fauve qu'il est devenu, manquant de renverser la moitié du mobilier sur son passage. Pendant qu'ils se chamaillent, je m'approche de Mère mais je sens que les mots ne sont pas de mise ce matin alors je me contente de la serrer contre moi. Elle paraît minuscule et tellement fragile entre mes bras. Je respire son odeur rassurante et puise en elle le courage d'aller jusqu'au bout de cette maudite mission.

— Je t'aime Amaël. Prends soin de toi et reviens vite.

Je hoche la tête en guise de réponse, incapable de parler.

Je me tourne maintenant vers le duo infernal qui s'est enfin calmé. Ella encore essoufflée s'est assise sur une chaise et cajole Arkos qui la regarde avec adoration, la langue pendante et l'air niais. Le spectacle est touchant et j'ai peine à les séparer ... Mais plus vite nous serons partis, plus vite nous serons revenus. Si Ella m'en veut, elle ne dit rien. Son mutisme vaut cependant tous les mots du monde. Il nous rappelle au quotidien cette tragédie qui a brisé nos vies. J'embrasse alors sa petite tête ébouriffée et promets de lui ramener son ami le plus rapidement possible mais je n'obtiens qu'une grimace boudeuse en retour de cette promesse.

À défaut d'avoir recouvré la parole, elle a au moins retrouvé son caractère bien trempé !

C'est le cœur lourd que je quitte les seules personnes capables de m'émouvoir encore aujourd'hui. Au tour de Père maintenant ! J'aurais préféré m'épargner cette entrevue mais le devoir m'incombe de présenter mes hommages à mon roi. Je traverse donc les couloirs glacés d'un pas vif pour me rendre dans la salle du trône, Arkos sur mes talons. Je suis certain d'y trouver Père comme tous les matins avant que ne commencent les doléances du peuple. Devant les lourdes portes qui mènent à la salle, deux gardent saluent mon passage en frappant le sol de leur lance, annonçant ainsi mon entrée. Le roi est affairé à lire un document que lui présente son conseiller mais il relève la tête à mon approche.

— Amaël.

À mon tour d'incliner la tête en signe de respect avant de prendre la parole. Nos relations ne se limitent plus qu'à de brefs échanges et ce, uniquement quand nous y sommes contraints. Je déplore cette situation mais les choses ont bien trop changé. L'incompréhension et les ressentiments qui flottent entre nous me poussent à aller droit au but.

— Je suis venu vous saluer après avoir fait mes adieux à Mère et Ella. Je pars sur l'instant.

— Bien, me répond-il froidement. Je te souhaite bonne chance. Et n'oublie pas de faire également tes adieux à Lyssandre, ajoute-t-il sur un ton de reproche.

- Lyssandre ! C'est vrai ! -

Je suis piqué dans mon orgueil que Père ait besoin de me rappeler une chose aussi élémentaire mais je me dois d'être honnête... Sans ce rappel à l'ordre, j'aurais oublié ma promise tant nos relations sont inexistantes depuis son arrivée. De ce que j'en sais, elle passe ses journées en compagnie des dames de la cour à discuter chiffon et cueille des fleurs dans la roseraie pour agrémenter de bouquets toutes les tables du château.

- Quels passe-temps futiles ! -

Elle deviendra pourtant mon épouse peu de temps après mon retour et partagera mes appartements et ma couche. Je frémis de dégout à cette idée mais rien n'est encore fait. Encore faut-il que je survive à tout ce qui m'attend... Sur ces pensées lugubres, je m'apprête prendre congés lorsqu'il ajoute.

— Reviens nous vivant.

Par le passé, j'aurais été touché par cette simple phrase. Mais le roc qui a pris désormais la place de mon cœur est incapable de ressentir un seul tressaillement. Je baisse de nouveau la tête en guise de réponse puis tourne les talons, mettant fin à cet échange laborieux entre deux être d'un même sang qui ne se comprennent plus.

- Je vais rentrer vivant Père, je vous le promets. Mais vous risquez de regretter cette décision -

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant