Chapitre 31 - Romuald

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Je ne m'en remets toujours pas !

Tout cet espace est à moi et rien qu'à moi !

Étalée sur le lit à baldaquin démesurément grand qui trône au milieu de la pièce, je me délecte de ce moment de répit pour m'imprégner de l'atmosphère des lieux.

Tout me plaît ici !

Le petit fauteuil à bascule installé près de la fenêtre ; la vue imprenable que celle-ci offre sur le pré à l'arrière du manoir ; le chêne énorme - probablement centenaire - dont les branches viennent dispenser des ombres dansantes sur mes murs ; l'armoire ancienne avec son essence à l'odeur entêtante mais agréable ; les lourds rideaux en velours émeraude assortis à la courtepointe rembourrée sur laquelle je suis allongée ; les oreillers moelleux à souhait... Il y a même un espace de toilette discrètement dissimulé derrière un paravent.

Tout est absolument parfait.

Comme nous l'avait annoncé le professeur Aïn, ma sacoche de voyage m'attendait déjà ici, posée sur un petit banc capitonné au pied du lit et sur la console à l'entrée de ma chambre, j'ai également trouvé le règlement que je n'ai pas encore pris le temps de lire ainsi qu'une pile de manuels d'apprentissage.

Même si je suis vraiment curieuse à l'idée d'en savoir un peu plus sur ce qui m'attend en classe dès demain, je me réserve la découverte de leur contenu pour plus tard. Je n'ai pas non plus l'intention de déballer mes effets personnels.

Pour le moment, je veux juste profiter de cette sérénité que je sais éphémère. La journée n'est pas encore terminée et j'ai vraiment hâte de voir ce qui nous attend d'ici là !

En attendant, j'ai simplement troqué ma robe de Cérémonie contre une tenue - et surtout des chaussures ! - plus confortables après m'être rapidement débarbouillée. Je suis également restée un moment à contempler mon tatouage dans le petit miroir accroché au mur, me familiarisant avec ce nouveau visage qui est désormais le mien.

Dans le couloir, je n'entends plus un bruit.

Eric a dû terminer d'installer les autres. Je me demande si leur chambre ressemble à la mienne quand quelqu'un frappe un coup discret à ma porte. Je me lève pour ouvrir.

— Ah c'est toi ! Entre.

Je laisse passer Romuald qui se précipite à la fenêtre pour admirer le panorama et je remarque que lui aussi s'est changé.

— Quelle chance ! s'exclame-t-il avec un sourire un peu envieux. Je suis dans la chambre juste en face de la tienne ! Elle donne sur le parc et les bâtiments, c'est bien, mais ce n'est pas aussi joli que ça. Danaé a la même vue que toi puisqu'elle occupe la chambre d'à côté, ajoute-t-il en désignant l'un des murs de ma chambre avec un regard de dégoût plutôt comique ! Quant à Léonce, je crois que c'est mon voisin mais je n'en suis pas certain. Je ne l'ai pas vu entrer dans la sienne.

Je le regarde finir sa tirade avec amusement.

- Est-ce qu'il est toujours aussi bavard ? -

Il va vraiment falloir que je m'y habitue.

Il reprend aussitôt la parole sans même me laisser le temps de répondre.

— Tu veux aller faire un tour ? J'ai vraiment envie de revisiter certains endroits du parc et de la Maison. Surtout la salle commune du premier, je veux tester tous les fauteuils ! Et j'ai aussi envie de retourner dans le hall. Le Filhor c'est vraiment incroyable ! Mes parents ne vont jamais me croire quand je leur raconterai tout ça.

J'accepte avec plaisir son invitation et c'est ensemble que nous repartons explorer les environs non sans être passés par sa chambre qu'il tenait absolument à me faire découvrir.

Je ne suis pas vraiment surprise de voir qu'elles sont meublées à l'identique et que seules leurs couleurs les différencient. Si la mienne est décorée dans les tons de vert plutôt apaisants qui me rappellent les sous-bois que j'aime tant près de chez moi, Romuald n'a pas eu cette chance. Son couvre-lit et ses rideaux ont été taillés dans un tissu orange criard que je ne trouve pas spécialement à mon goût mais il n'a pas l'air de s'en plaindre, je me retiens donc de faire le moindre commentaire à ce sujet.

Nous continuons notre escapade en direction des étages inférieurs puis des allées pavées du parc en prenant le temps de flâner et d'échanger nos impressions sur les récents évènements que nous venons de vivre ensemble.

Tout en marchant vers le verger, Romuald me relate certaines des anecdotes qu'Eric lui a raconté au cours de la matinée. Je ris de bon cœur avec lui tandis que nous déambulons à l'ombre des arbres sans aucun but précis.

C'est un garçon simple et drôle, sa compagnie est agréable et échanger avec lui me semble bien plus naturel qu'avec Lyssandre alors que nous nous connaissons depuis des années elle et moi.

Mon nouvel ami, que j'écoute maintenant d'une seule oreille, s'amuse à recenser les plantes médicinales aperçues plus tôt dans le potager. Je le regarde s'émerveiller devant une tige au bout de laquelle se déploie une jolie petite fleur bleue.

— Regarde Ana ! C'est de la Passiflore !

- De la quoi ? -

Je ne sais absolument pas de quoi il parle mais son sourire béat me pousse à me réjouir pour lui. Le voyant ainsi épanoui, je réfléchis également à ce que je ressens face à tous ces bouleversements et à ma nouvelle vie. J'admire ce décor dont j'ai tant rêvé qui s'étend désormais tout autour de moi. Je peux affirmer sans l'ombre d'un doute que je suis sincèrement heureuse d'être là et que je ne reviendrais sur mon Choix pour rien au monde.

J'écoute Romuald énumérer tout un tas de noms inconnus et savants. De temps de temps, il pousse des petits cris d'émerveillement quand il découvre une espèce particulièrement rare. C'est un spectacle plutôt amusant et je n'ai pas le courage de lui gâcher son plaisir. J'attends alors patiemment qu'il termine son inventaire avant de suggérer de retourner vers le manoir.

En chemin nous croisons Eric qui nous alpague du haut de son perron.

— Ana, Romuald. J'espère que vous avez bien profité ! Mais ne tardez pas trop ! Comme vous le savez, le tailleur sera là avant le dîner qui devrait être servi dans environ une heure. Tâchez aussi de vous reposer. Votre première journée de classe risque d'être riche en émotions et vous aurez besoin de toute votre énergie, nous avise-t-il avant de nous souhaiter une bonne soirée et de rentrer chez lui.

C'est assez étrange quand on y pense. Eric a visiblement notre âge mais avec son physique imposant, l'entendre nous faire des recommandations et nous donner des conseils sur comment gérer notre temps semble tout à fait légitime.

Toujours est-il qu'il a raison !

Nous n'avons pas vu le temps passer et le soleil a presque entièrement disparu derrière la muraille d'enceinte.

De peur d'être en retard à cette première convocation, nous nous hâtons de rejoindre notre nouvelle demeure et c'est en courant que nous grimpons la volée de marches qui mènent à la double porte.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant