Chapitre 55 - la Capture

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- Cérès -

C'est ainsi que Rodric l'avait nommé.

La splendide apparition au gabarit hors norme encercle le troupeau au petit galop, humant l'air de ses naseaux dilatés. Sous sa robe d'un noir d'encre, je distingue toute la puissance des muscles frémissants. L'étalon me paraît encore plus impressionnant ici, dans son environnement naturel, que la première fois que j'ai posé les yeux sur lui, amaigri, les yeux bandés devant la porte du château. Mais la même énergie brutale et sauvage émane de tout son être.

Devant cette vision aussi envoûtante que terrible je comprends ce qu'a du ressentir Rodric en arrivant ici... La convoitise qui a dû s'emparer de lui à l'idée de posséder et dompter un tel animal ; la fierté de ramener cet incroyable trophée pour impressionner Père. Mais Rodric est mort. Et voilà qu'aujourd'hui, c'est moi qui me retrouve à sa place.

J'aurais pu choisir n'importe lequel de ces magnifiques chevaux sacrés mais je suis venu ici avec un but précis.

Celui de ramener Cérès à la cour pour confronter notre bon roi à son autorité abusive.

Il veut maintenir ses coutumes archaïques et dangereuses ? Grand bien lui fasse. Mais il devra en assumer les conséquences.

L'enjeu est risqué je le sais mais même face à cet animal indomptable ma détermination ne flanche pas. La Bête retournera au château quoiqu'il m'en coûte.

Arkos et moi passons encore quelques heures ainsi cachés à observer les allers et retours de Cérès afin de déployer la meilleure stratégie tout en prenant un minimum de risques. La première étape consiste à repérer d'où vient le vent. La forte odeur de crottin pourrait se révéler insuffisante face à l'odorat subtil de ces animaux habitués à se comporter comme des proies depuis la nuit des temps.

Comme Rodric l'a fait avant moi, je guette ensuite le moment opportun. Je choisis de surprendre ma cible lorsqu'elle s'éloignera de ses congénères pour s'abreuver dans le cours d'eau en contrebas. Elle sera ainsi moins à l'affût et les autres bêtes ne pourront pas donner l'alerte.

Le plus discrètement possible nous nous rapprochons du lieu où j'ai l'impression que le troupeau aime venir se désaltérer. Et là, à nouveau camouflés derrière un buisson nous prenons notre mal en patience mais l'attente est insoutenable.

Tout à coup, le moment tant attendu se profile quand je vois Cérès se détacher du troupeau au petit trot et se diriger droit vers notre cachette. Le temps de préparer la vielle étoffe et une corde, l'étalon est presque sur nous.

Arkos a compris ce qu'on attend de lui. Immobile et aplani sur le sol, les muscles en tension, il se tient prêt à bondir au moindre geste de ma part. Je suis rassuré de le savoir près de moi à cet instant mais un instinct primaire et protecteur entrevoit également le pire. Je prie alors tous les Dieux de nous laisser sortir vivants de cette folie.

Quand le cheval se met à boire sans inquiétude aucune je remercie intérieurement Rodric. Sans son récit aussi précis de la capture de Cérès, jamais nous n'aurions pu nous approcher aussi près et aussi vite sans être démasqués.

C'est maintenant ou jamais !

D'un bon, je m'extirpe de la broussaille et jette le morceau de linge sur la tête de l'animal qui pris par surprise, n'a pas le temps de s'écarter.

Malgré son aveuglement soudain il rejette la tête en arrière pour se défaire du tissu qui glisse jusqu'au sol mais j'ai le temps de lui passer la corde autour du coup avant qu'il ne s'échappe. Je tire alors un coup sec sur l'encolure pour le forcer à baisser la tête mais l'animal doit peser dans les seize cents livres et je ne fais manifestement pas le poids.

Maintenant qu'il a retrouvé la vue Cérès se redresse sur ses postérieurs et s'apprête à se jeter sur moi tandis je m'écroule, projeté en arrière par la violence de son mouvement sans toutefois laisser filer ma prise.

- Par tous les Dieux ! Je ne veux pas mourir maintenant ! -

Je siffle alors impérieusement et Arkos jaillit comme un fauve de sous le taillis, détournant momentanément l'attention de la Bête en furie. Sans réfléchir, je me relève et j'enroule l'autre extrémité de la corde autour du tronc d'arbre le plus proche. Je récupère ensuite le tissu à demi piétiné et me tiens prêt à réitérer la tactique. De son côté, Arkos évite les attaques de son mieux ! Il saute et se déplace avec agilité, aboie pour déstabiliser l'ennemi et enchaîne les parades tout en évitant les sabots meurtriers.

L'animal endiablé se débat contre la corde qui lui cisaille la peau et essaye de se débarrasser du molosse en hennissant de colère. Dans une tentative échouée de mordre mon garde du corps, l'animal baisse enfin la tête et je saisis l'occasion de l'aveugler à nouveau. Cette fois, je ne lâcherai pas le tissu avant de l'avoir fermement noué ! Le démon noir balance alors la tête de mon côté et ses dents tranchantes s'enfoncent profondément dans la chair de mon bras.

Je retiens un hurlement de douleur et de rage mais pour la bête il est trop tard. Il est désormais privé du sens de la vue !

Sans prendre le temps de savourer ma victoire, je détache une seconde corde pour fabriquer une bride de fortune et contrairement à celle de mon frère, la mienne aura la spécificité d'empêcher l'étalon de mordre, lui bloquant temporairement la mâchoire. J'ai de la peine de voir ainsi muselé un animal aussi incroyable mais les images du corps de Rodric couvert de bleus et de morsures flottent encore dans ma tête.

J'attrape alors la dernière corde que je tranche en deux morceaux identiques puis je relie les deux antérieurs l'un à l'autre et je procède de la même façon avec les postérieurs. Cérès s'ébroue de mécontentement pendant que je m'exécute en évitant de mon mieux les coups de pieds lancés à l'aveugle. Ainsi prisonnier, il pourra marcher mais il ne pourra plus courir, ni taper. C'est une mesure draconienne j'en conviens, mais il en va de ma sécurité et de celle d'Arkos.

Toutes les précautions prises, je profite de l'accalmie pour rincer ma blessure à l'eau claire. Mon bras me lance et la plaie est profonde mais j'arrive à arrêter le saignement en me fabriquant un garrot avec un bout de linge déchiré. Le bougre ne m'a pas loupé, je garderai une cicatrice à vie de ce combat. . . Je prends ensuite le temps de boire quelques gorgées pour apaiser ma gorge asséchée par l'effort puis je me redresse.

C'est seulement à cet instant que je prends conscience de ce que nous venons d'accomplir Arkos et moi.

Gorgé de satisfaction, je flatte d'une main distraite les flancs de mon compagnon qui veille au grain tandis que je contemple Cérès, vaincu et luisant d'écume.

- La Bête est à moi désormais !

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant