Chapitre 5 - le dernier jour

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Lorsque mon fidèle ami reprend son envol, j'ai les yeux humides et je n'ai pas le cœur à affronter tout de suite la tornade qui se prépare au rez-de-chaussée. Au lieu de descendre déjeuner, je décide plutôt de commencer à rassembler mes affaires.

Une fois que je serai marquée, je ne serai pas autorisée à rentrer à la maison. Du moins, pas avant la fin de mon apprentissage. Il faut donc que je m'y prépare. En prévision de mon départ et en guise de cadeau d'anniversaire, papa m'a offert une sacoche de voyage ornée d'une magnifique tête de loup brodée à laquelle je suis extrêmement attachée. Elle n'est pas très spacieuse mais je sais déjà que j'arriverai à y faire entrer tout ce que je souhaite emporter.

Contrairement aux filles de mon âge, je n'ai que très peu d'effets personnels. D'ailleurs, j'aimerais beaucoup savoir à quoi ressemble la chambre de Lyssandre à cet instant. J'imagine assez facilement un amas démesuré de robes et de jupons, assez de bottines pour chausser toute la Citadelle et mon amie d'enfance paniquée à l'idée que tout ne rentre pas dans l'armée de valises qu'elle avait pourtant prévue à cet effet ! Je souris à cette pensée, soulagée de ne pas être confrontée à ce genre de problèmes.

J'entasse rapidement dans ma sacoche des affaires de toilette, un ensemble de vêtements confortables et délaisse sans hésitation la pile de robes neuves que maman a intentionnellement posées sur ma commode. Cela m'attriste encore de me dire que nous sommes si différentes et je me rends compte qu'elle n'a aucune idée de ce que sera mon quotidien désormais. Je passerai les douze prochains mois à développer mon Don et je doute fort que mon futur professeur de Perception trouve les jupons en dentelle adaptés aux cours qu'il dispense.

Aux effets déjà empaquetés, j'ajoute mes jambières d'équitation favorites. Papa me les a offertes l'année de mes quinze ans, lorsqu'il fut certain que j'avais enfin cessé de grandir. Elles sont faites d'un cuir si souple qu'on croirait porter une seconde peau. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre ni comment se déroulera la formation mais j'ose espérer que le Maison abrite au moins quelques chevaux. De tous les animaux, ils sont de loin mes préférés et même si maman s'est toujours opposée à ce que je possède mon propre cheval - ni aucun autre animal soit dit en passant - j'ai grandi au côté de ceux de Sir Tomas et j'aurais beaucoup de mal à vivre éloignée d'une écurie.

À peine ai-je refermé mon sac que maman s'impatiente et me hèle depuis le bas de l'escalier.

— Ana ? Es-tu réveillée ? Descends vite, nous devons préparer les pâtisseries pour notre participation au banquet, il faut encore te trouver des chaussures puisque celles que tu as essayées hier ne vont pas avec ta robe ! Et nous sommes également attendues après le déjeuner par Lyssandre et sa mère pour prendre le thé. Oh et j'oubliais ! Tu devras aussi passer voir ton père à la boutique pour récupérer ma robe qu'il vient juste de terminer. Dépêche-toi s'il te plaît !

— J'arriiiiive.

La journée ne fait que commencer et j'ai déjà le tournis. Mais je trouverai bien le temps de souffler un peu et de passer dire au revoir à Sir Tomas.

Lorsque je la rejoins dans la cuisine, maman est affairée à la confection de ses incontournables tourtes à la myrtille et aux épices. À l'occasion des Cérémonies, tous les citoyens d'Élenie sont mis à contribution et chacun en profite pour mettre en avant ses talents culinaires.

Cette tradition date d'avant la Rupture de notre Royaume en trois parties bien distinctes, La Plaine, La Citadelle et La Couronne. Quand toutes les classes vivaient encore ensemble autour de la forteresse du roi. Cette contribution fait partie des anciennes coutumes très appréciées et la plupart des familles joue le jeu, ravie de pouvoir déguster les spécialités des uns et des autres. La Couronne approvisionne également les tables du banquet, si bien qu'il reste toujours de quoi se sustenter pendant près d'une semaine durant laquelle chacun est libre de manger à sa faim et même d'emporter chez lui quelques restes.

Les yeux dans le vague, j'aide machinalement maman à terminer sa préparation et la regarde enfourner ses plats. Elle tente de me faire avaler un léger petit déjeuner mais je rechigne, j'ai l'estomac dans les talons. Le stress et l'appréhension n'y sont certainement pas pour rien. J'ai définitivement hâte d'en finir avec cette journée et d'entamer ma nouvelle vie. Mais plus je pense aux détails de la Cérémonie de ce soir, plus j'ai le cœur au bord des lèvres.

Je n'ai jamais aimé être au centre de l'attention et je suis plutôt d'un naturel timide et discret en société. Maman a même la fâcheuse tendance à répéter à qui veut l'entendre que je suis spéciale. Je n'ai jamais vraiment su comment l'interpréter...
Mais pour être honnête, je dois avouer qu'elle n'a pas totalement tort. Il est vrai que je suis plus à l'aise avec l'espèce animale qu'avec mes pairs... Les relations humaines n'ont jamais été mon fort et il n'y a qu'avec papa que je peux vraiment être moi-même. Et peut-être avec Sir Tomas aussi quand j'y pense. Cela doit être dû au fait que nous nous intéressons tous deux aux chevaux.

À y bien réfléchir, hormis Lyssandre et Sir Tomas, je n'ai jamais vraiment eu d'amis.

D'une part, parce que passé l'âge de la petite enfance qu'il fascine, mon Don effraie désormais la quasi-totalité des jeunes gens de mon âge.

D'autre part, parce que les centres d'intérêts qui en découlent sont beaucoup trop éloignés de ceux d'une adolescente de dix-sept ans normalement constituée. Et avec les rares courageux qui daignent m'adresser la parole, je sais pertinemment à quoi m'en tenir. Il s'agit presque toujours de curiosité mal placée afin d'obtenir une démonstration de mes pouvoirs.

Je peux malgré tout m'estimer heureuse. Comme tous les enfants nés du bon côté de la rivière, c'est-à-dire dans la Citadelle, j'ai eu la chance d'étudier à la maison avec un précepteur privé. Les enfants de La Plaine n'ont pas ce privilège. Ils doivent fréquenter des écoles mixtes jusqu'au jour de la Cérémonie du Choix qui marquent pour tous les adolescents du Royaume la fin de l'enfance et de l'éducation.

Je pense aussi que je n'ai jamais vraiment su m'y prendre avec les êtres humains. Peut-être à cause de ma timidité ou tout simplement par manque d'intérêt pour mon espèce. Je ne suis pas très bavarde et quand c'est le cas, maman me reproche souvent mon franc parlé. Voilà pourquoi la perspective de m'exprimer en public m'angoisse au plus haut point.

D'autant qu'en prime de cette foule d'inconnus qui aura les yeux braqués sur moi, le roi et la reine accompagnés de leurs héritiers nous honoreront de leur présence.

- Je n'y arriverai jamais !

Voilà la pensée défaitiste que je tente désespérément de refouler depuis plusieurs semaines. Une fois de plus, je la relègue au fond de mon esprit et décide de me concentrer sur le temps qu'il me reste à passer avec mes proches.

En parlant de proches, maman me traîne de boutique en boutique depuis que nous avons quitté la maison. Et je suis à deux doigts de la crise de nerfs que je trouve enfin soulier à mon pied d'après le jeu de mot pathétique de Sir Paldor, le cordonnier favori de maman. Je ne partage pas du tout son avis mais je me suis bien gardée de répliquer. Le modèle que j'ai choisi me cisaille la peau des orteils mais il a au moins le mérite d'être plat et m'évitera ainsi de me ridiculiser devant toute l'assemblée en perdant l'équilibre. Il faut dire que je suis plus habituée à porter des jambières et des bottes que des sandales à talons.

Mais grâce à ce petit compromis, maman est ravie et décide d'écourter notre visite. Cela suffit amplement à me faire accepter ce désagrément !

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant