Sur le chemin du retour, je délaisse maman à l'angle de la place du marché pour rejoindre l'atelier de couture de papa. Je dois récupérer la robe qu'il a confectionnée pour elle. Je remonte au pas de course les ruelles étroites et bien entretenues de la Citadelle, consciente que je dois me dépêcher si je veux pouvoir faire un détour par les écuries.
Lorsque je pénètre dans le minuscule enclos de travail qui sert pour le débourrage des jeunes chevaux, Sir Tomas est affairé à panser un nouveau poulain. C'est un animal robuste et équilibré qui fera un excellent cheval de monte.
Je le sais d'une part, parce que Sir Tomas est le dresseur le plus compétent de toute la Citadelle et il fera des merveilles comme à chaque fois.
Et d'autre part, parce que c'est ce que l'animal me renvoie de son tempérament. Il apprécie déjà la main de l'homme qui prend soin de lui à cet instant en faisant preuve d'un naturel placide, doux et confiant malgré son jeune âge.
Je m'approche de mon professeur et ami et le salue.
— Bonjour Sir Tomas.
— Oh ! Bonjour Ana, dit-il en se retournant vers moi tout en continuant de lustrer le poil cuivré du poulain dont je flatte distraitement l'encolure. Aujourd'hui, c'est le grand jour ? Comment te sens-tu ?
— Je voudrais vous dire que tout va bien... J'essaie de ne pas me laisser gagner par l'angoisse mais je dois avouer que ma vie va changer du tout au tout. Je réalise que je ne reviendrai pas ici avant un moment et cela va me manquer. Atrocement. Et je ne sais même pas s'ils auront des chevaux là-bas...
L'émotion me rend bien plus bavarde que d'ordinaire ! Assez que pour cela interpelle Sir Tomas qui interrompt son travail pour me regarder avec compassion.
— Ana, tu vas intégrer la Maison des Apprentis pour mettre ton talent à profit et faire tout ce dont tu as toujours rêvé ! C'est ce qui importe le plus ! Et puis ce n'est qu'une année et une fois que tu seras une Élue, rien ne t'empêchera de revenir flâner ici de temps en temps et me donner un coup de main comme au bon vieux temps, n'est-ce pas ? tente-t-il de me rassurer. Sauf si tu intègres l'Élite, ce dont je ne doute pas un seul instant bien entendu ! ajoute-t-il avec un clin d'œil.
Son sourire communicatif et chaleureux me redonne un peu de courage seulement, je vois dans ses yeux qu'il est en réalité aussi triste que moi. Sir Tomas vit seul depuis plus de dix ans maintenant. Depuis que sa femme qu'il aimait profondément est décédée d'une maladie foudroyante. Ils n'ont jamais eu l'occasion de concevoir un enfant et je pense que cela restera le plus grand drame de sa vie. Il aurait tellement aimé avoir une descendance à qui transmettre sa passion ! Alors inconsciemment, je pense qu'il me considère un peu comme la fille qu'il n'a jamais eue et qu'il est fier de ce que je vais accomplir même si cela lui arrache le cœur de me voir partir.
Il est comme un second père pour moi. Je traîne dans ses écuries depuis que je suis en âge de marcher et mon Don ne l'a jamais effrayé, bien au contraire ! Il m'a surtout permis de lui être utile un nombre incalculable de fois lorsqu'il recevait des chevaux récalcitrants, perturbés ou encore maltraités. Ensemble, son savoir-faire couplé à mon sens inné de perception, nous sommes parvenus à bout de tous ces innombrables cas comme nous les appelons entre nous.
En échange de mon aide précieuse, il m'a enseigné tout ce que je sais et m'a également appris à monter. Grâce à lui, je suis une cavalière émérite pour mon âge, même si je n'ai pas vraiment d'éléments de comparaison car peu d'éleniennes montent à cheval. Cela ne nous est pas interdit mais c'est plutôt inhabituel. Les chevaux sont surtout utilisés par les hommes pour la guerre, l'agriculture et le transport, les femmes se déplaçant le plus souvent en calèche. Mais certaines personnes comme Lord Faser les voient volontiers comme des animaux de loisir d'une extrême beauté et ont plaisir à en posséder parfois plusieurs spécimens. Et puis tout le monde sait que le roi Théobald a lui aussi un faible pour ces animaux splendides. Et ce même si l'un d'entre eux lui a enlevé son fils aîné.
C'est le regard embué et la gorge serrée que je réponds à Sir Tomas.
— Je le sais bien... Simplement, tout devient réel, le grand départ est ce soir et... je suis triste de vous quitter, vous, et les chevaux.
Je sens qu'il faut que j'abrège rapidement cet échange car j'ai les larmes au bord des yeux. Le poulain perçoit également mon malheur et nous gratifie d'un petit hennissement plaintif. Je sais alors qu'il est grand temps que je m'en aille. Mais c'est plus fort que moi, je laisse échapper une larme qui roule sur ma joue. Sir Tomas l'essuie d'un revers de main rêche et bourrue et me serre ensuite l'épaule un instant comme lorsque je descends de cheval après une leçon et qu'il approuve mes progrès. C'est sa façon à lui de m'encourager, de montrer qu'il est fier de moi.
— Allez mon petit, sois forte. Je serai dans la foule ce soir pour te soutenir, je t'en fais la promesse.
Cette fois, c'en est trop. Je bafouille un pitoyable et inaudible au revoir sans oser affronter son regard de peur de craquer et je m'enfuis à toutes jambes en direction de l'atelier de couture de mon père.
Avec papa, c'est un peu comme avec les animaux, il me comprend sans que j'ai besoin de parler. Et lorsque j'entre dans sa boutique le cœur lourd de chagrin, il n'a qu'à ouvrir les bras pour que je me jette à son cou et laisse toute ma tristesse s'épancher. Il me serre contre lui jusqu'à ce que mes larmes se tarissent et m'embrasse tendrement sur le front. Après quelques minutes, je relève enfin la tête et lui souris pour le rassurer et lui faire comprendre que je me sens mieux car à cet instant, je suis incapable de parler. Mais il sait que la communication n'a jamais été mon fort et je lui suis reconnaissante de respecter cette particularité qui fait partie intégrante de ma personnalité.
Consciente que j'aidéjà perdu beaucoup de temps, j'attrape le colis déjà prêt qu'il me tend, luiadresse un dernier sourire et file en direction de la maison avant que maman nese transforme en furie.
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Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)
FantasyLEUR DESTIN SE SONT CROISÉS MAIS ILS N'AURAIENT JAMAIS DÛ SE RETROUVER. "Demain, j'aurai dix-sept ans. Demain, la Cérémonie du Choix aura lieu. Dans mon monde, le jour de nos dix-sept ans, deux possibilités s'offrent à nous. On peut choisir l'Un...