Chapitre 34 - déception

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Quelle n'est pas ma surprise de retrouver mes trois camarades dans la salle à manger commune... accompagnés de leurs professeurs respectifs ainsi que d'Eric !

Tous se sont déjà servis et installés à la grande table.

Mon ami est le premier à remarquer mon entrée et m'invite à me joindre à eux.

— Ana ! Viens vite t'asseoir ! me hèle-t-il.

J'accepte d'un mouvement de tête et me dirige vers le buffet superbement garni mais pour des raisons bien différentes de ce matin je n'ai toujours pas faim.

Je me force tout de même à remplir mon assiette de quelques tranches de lard grillé et de légumes - je ne voudrais pas froisser Marta si elle venait à passer par là - avant de rejoindre la joyeuse tablée pour prendre la place que Romuald m'a réservée à ses côtés.

— Professeur Arwen, voici mon amie Ana. Elle a le Don de Perception et elle est très douée ! ne peut-il s'empêcher d'ajouter à l'attention d'un Élu au faciès joufflu mais aimable assis juste en face de lui.

Je me sens rougir face à ce compliment dont je ne suis vraiment pas certaine d'être digne tandis que le professeur en question me sourit tout en me souhaitant la bienvenue. Je suis ensuite introduite auprès des professeurs Adalar et Kelen qui interrompent leur conversation pour me saluer.

Les présentations terminées, les échanges reprennent avec une simplicité naturelle entre les professeurs, les élèves et Eric. Le nez dans mon assiette, je picore quelques légumes mais le cœur n'y est pas. Je ne cesse de regarder la porte d'entrée, espérant secrètement que mon professeur se joigne à nous et que je puisse également apprendre à le connaître.

Je me faisais une telle joie de rencontrer enfin une personne partageant le même talent que moi...

Comme pour aiguiser mon amertume, tout le monde a l'air totalement à l'aise et enchanté de ces échanges. Même Léonce me fait l'effet d'un poisson dans l'eau, il n'arrête pas de jacasser - comme quoi tout peut arriver ! -, passionné par un sujet spécifique en rapport avec son Don et dont je ne comprends pas un traître mot.

Le repas terminé, je suis maintenant certaine que mon professeur ne se joindra plus à nous.

J'aimerais partager ma déception mais je n'ose pas déranger Romuald qui persiste à harceler de questions le professeur Arwen. J'entends également ce dernier poser quelques interrogations personnelles à mon ami, lequel se fait un plaisir de lui répondre.

À ce moment précis, une pointe de jalousie me pique sournoisement le cœur mais je la refoule aussitôt.

- Le pauvre Romuald n'y est pour rien si mon professeur ne s'intéresse pas à moi...-.

Lorsque je les vois tous reprendre la direction des salles de classe, je me mets machinalement en route derrière eux et je retrouve le professeur Laslaut toujours en train de griffonner. Il lève la tête à mon entrée, referme sèchement son carnet et me lance.

— Très bien, nous pouvons enfin reprendre !

Et effectivement, il reprend son monologue sur les problématiques dues à la consanguinité, rencontrées chez certaines races canines.

- Passionnant ! -

Je fais taire mon cynisme intérieur pour me concentrer sur ses explications et annoter tout ce qui me semble pertinent sur un nouveau parchemin.

L'après-midi se poursuit sur la même lancée.

Il me paraît interminable et quand enfin il touche à son terme, je me sens vidée et légèrement somnolente. Seule bonne nouvelle, nous en avons terminé avec cette espèce !

Je prie tout de même pour que la journée de demain ne soit pas consacrée aux herbivores domestiques ou je jure que je n'y survivrai pas !

Le pas traînant, je reprends le chemin du manoir beaucoup moins avide que ce midi de retrouver les autres. J'ai peur de me confronter une seconde fois à leur enthousiasme et je n'ai aucune envie de les écouter me raconter toutes les expériences qu'ils ont vécues au cours de cette première journée.

Même si je suis bien évidemment ravie pour eux, je préfère rester un peu seule et me défaire de cette déception qui me ronge.

Je décide donc de faire un détour par les écuries ou je fais rapidement le tour des stalles pour faire connaissance avec leurs occupants. Ce sont de belles bêtes bien entretenues et toutes m'ont l'air parfaitement équilibrées et dociles.

Je sais que les chevaux perçoivent facilement mes émotions mais aucun d'entre eux n'a l'air perturbé par mon état d'esprit pourtant morose.

À vrai dire, leur présence me calme énormément. Après un long moment passé à câliner une adorable jument couleur caramel à la crinière blonde et au poil soyeux, je dois avouer que je me sens même beaucoup mieux !

Les écuries m'ont toujours fait un effet particulier et j'aime l'atmosphère qui règne dans celle-ci à cet instant précis. Le souffle régulier et apaisant des chevaux ; leur quiétude qui me détend ; l'odeur salée, puissante et inimitable qui émane de leur corps tiède mélangée à celle du fourrage frais ; les particules de poussière en suspension dans les rayons éblouissants du soleil couchant qui pénètrent par les ouvertures...

Je ferme les yeux et inspire profondément pour m'imprégner de ce moment en dehors du temps.

Le soleil est à présent sur le point de disparaître derrière les bâtiments, je sais donc qu'il me reste encore un peu de temps avant de rejoindre mes camarades pour le dîner.

Après une dernière caresse à chacun de mes nouveaux amis, je remonte au pas de courses vers le manoir déposer mes affaires et me laver les mains.

Mais en entrant dans ma chambre, j'ai l'agréable surprise de trouver sur mon lit un paquet imposant accompagné d'une petite note manuscrite.

En espérant qu'elles vous siéront et que vous saurez les apprécier,

Votre dévoué Sir Tirel.

- Déjà ??

Je repose le carton sur le lit et m'applique à déchirer avec une hâte à peine contenue le papier de soie qui enveloppe ce contenu dont j'ai tellement rêvé et je découvre avec ravissement deux magnifiques capes agrémentées de ravissantes broches argentées représentant la lettre E d'Elenie.

Habituée au travail de papa, j'ai appris - malgré moi - à reconnaître un ouvrage de qualité et je peux affirmer sans hésitation que les pièces confectionnées par Sir Tirel sont splendides !

L'une - certainement un modèle d'hiver - est taillée dans un tissu épais d'un gris profond, doublé d'un intérieur somptueux en velours bleu nuit assorti à mon tatouage ; l'autre, plus légère, est d'un gris plus clair que la première mais tout aussi qualitatif.

Je les essaye tour à tour, appréciant leur coupe parfaite et la douceur des étoffes. Je me délecte de la fierté incomparable de me sentir presque l'égale d'une Élue avant de ranger soigneusement la plus chaude des deux dans mon armoire sachant qu'elle ne me servira pas avant quelques temps.

Encore tout excitée par cette découverte et réconfortée par mon passage aux écuries, je retrouve Romuald dans la salle à manger pour partager un second repas en tête à tête. Léonce et Danaé étant encore introuvables.

Je l'écoute patiemment me raconter avec un plaisir évident sa première journée de cours et son excitation à l'idée de porter sa cape dès demain.

Mais lorsqu'il cherche à son tour à savoir comment s'est passée ma journée, j'évince la question en prétextant une fatigue extrême et soudaine. J'avale en vitesse une dernière bouchée de rôti, manquant de m'étouffer au passage, avant de lui souhaiter bonne nuit et de m'échapper comme une voleuse en direction des étages.

Je me sens un peu mal de l'avoir planté là mais il n'a pas eu l'air de s'en formaliser et de toute façon, j'ai croisé Léonce qui descendait les escaliers. Il ne sera donc pas seul pour terminer son repas.

Réellement exténuée par toutes ces émotions contradictoires qui m'ont submergée tout au long de la journée, je ne tarde pas à me glisser dans mon lit et m'endors en espérant que celle de demain soit à la hauteur de mes espérances. 

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant