Chapitre 44 - coutumes et traditions

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La Cérémonie de ce soir m'exaspère au plus haut point mais je n'y couperai pas. D'autant plus que cette année, mon père choisira ma future épouse sans même me consulter. Fils du roi Théobald, je n'ai nullement le droit de donner mon avis sur celle qui partagera ma vie.

- Vestige de nos traditions ancestrales que je réprouve au plus haut point -

La seule raison pour laquelle je consens à faire l'effort de participer à cette vaste mascarade, c'est Ella.

J'ai de plus en plus de mal à faire semblant d'accepter mes nouvelles responsabilités et mes relations avec Père ne vont pas en s'améliorant. La disparition de Rodric m'a propulsé sur le siège d'héritier du trône. Siège que je n'ai jamais souhaité occuper. Le pouvoir, les mondanités, les complots et les guerres... Rien ne m'intéresse moins que tout ceci. Mais ce que je rejette avant tout autre chose, ce sont les traditions !

Mon frère est mort pour préserver les traditions ! Ces absurdités que les rois d'Élenie s'entêtent à vouloir perpétuer depuis des générations. Mort pour faire honneur à notre royaume, à mon père et à ces rites ridicules que je condamne et que j'abolirai le jour où je serai roi à mon tour ! Voilà peut-être le seul dessein qui me pousserait à accéder un jour au trône et à vouloir lui succéder. Mais pour la perte de mon frère adoré, et le traumatisme d'Ella, je crois bien que jamais je ne pourrais lui pardonner !

L'heure de rejoindre les festivités arrive bien trop vite à mon goût. Je me hâte toutefois de me rendre sur le perron. Je veux être auprès d'Ella lorsqu'elle devra affronter sa peur et monter dans le cabriolet. Comme promis, Arkos est à mes côtés et contrairement à mes habitudes, je le laisse en faire à sa guise. Ce qui signifie en clair ; faire diversion. Et cela se révèle plutôt efficace puisque Mirella n'a d'yeux que pour la boule de poil qui ne cesse de vouloir mordiller tout ce qui se trouve à portée de crocs ; jupons, doigts, chaussures... Ella ne prête absolument pas attention aux chevaux paisibles attelés devant la voiture et je profite de cette distraction pour l'attraper par la taille et l'asseoir dans le sens inverse de la marche. Lui épargnant ainsi la vue des deux hongres.

— Et voilà une Princesse confortablement installée !

J'attrape également Arkos avant qu'il n'aille s'en prendre aux paturons des pauvres bêtes. L'air de rien je le confie à ma sœur pour continuer à occuper son esprit tandis que je m'assois face à elle, refoulant une légère amertume.

Je n'ai aucun problème avec l'idée de partager la voiture avec les femmes de la famille mais je dois avouer que j'aurais préféré faire le trajet à cheval, comme un homme. Mais tant que je n'ai pas accompli le Rite de la Capture et ne possède pas de destrier attitré, il se trouve que cela m'est interdit.

- Encore une de ces coutumes absurdes issues d'une époque révolue qui me révolte ! -

Ne se souciant aucunement de mon état d'esprit morose, Ella glisse le fauteur de troubles entre ses petits pieds et me confirme d'un regard entendu et complice qu'elle s'engage à le surveiller. Mère nous rejoint un instant plus tard et s'installe rapidement à mes côtés, souhaitant que cette épreuve pour Ella soit la plus courte possible. La garde montée, quant à elle, a reçu l'ordre de ne jamais entrer dans le champ de vision de la Princesse. Elle prend donc place en amont de l'attelage avec à sa tête, le roi Théobald juché sur son fidèle destrier Althéas dont il ne saurait être plus fier.

Je lui jette un regard mêlé d'envie et de ressentiments tandis que le cortège, enfin au complet, se met en branle pour rejoindre la Plaine et tous les éleniens qui s'y sont donnés rendez-vous.

Nous arrivons sur place un peu avant le coucher du soleil. La foule joyeuse s'amasse devant l'estrade qui nous est réservée. Père laisse la garde ouvrir la voie, mettre pied à terre et prendre place autour du promontoire. Le clairon royal retentit alors et le silence le plus complet envahit la Plaine tandis qu'il descend de sa monture pour prendre place son trône éphémère. Mère et Ella le rejoignent aussitôt et je dois attendre qu'elles soient elles aussi installées pour pouvoir à mon tour descendre de la voiture, laissant à Arkos le soin de me suivre.

Mais lorsque j'arrive à la place qui m'incombe, je m'aperçois que ce dernier n'a pas toujours pas bougé et me regarde du haut du marchepied. Il guette un ordre clair de ma part tout en regardant avec inquiétude autour de lui, humant les odeurs alléchantes du festin mêlées à celles des centaines d'inconnus qui se massent autour de lui.

Je reconnais que pour un chien aussi jeune, tout ceci doit être impressionnant mais je ne peux empêcher mon esprit impatient de s'agacer malgré tout de cette hésitation à me suivre. Je siffle pour le convaincre de me rejoindre immédiatement, attirant sur moi - et à mon plus grand désespoir - le regard de tous nos sujets. Je vois Arkos refixer son attention sur moi mais il ne fait toujours pas mine de vouloir descendre du cabriolet.

- C'en est trop ! -

Perdant totalement patience, je siffle impérieusement, lui intimant l'ordre de me rejoindre sur le champ ! Et cette fois-ci, l'envie de m'obéir semble prendre le dessus sur ses craintes.

- Dieux merci ! -

Je ne supporterai pas de devoir à nouveau me donner en spectacle.

Je suis malheureusement tout aussi gêné de le voir s'entraver en descendant les marches. Mais quand je le vois se dandiner jusqu'à nous de sa démarche gauche de chiot et gratifier Ella d'un coup de langue affectueux sur son passage, je ne peux réprimer un sourire que je tente malgré tout de dissimuler à la foule d'inconnus dont les yeux sont à présent braqués sur moi.

Il faut reconnaître que l'animal a tout de même ramené un peu de gaieté dans nos vies. Je crois bien ne pas avoir souri depuis la mort de Rodric et pour Ella, c'est une incroyable transformation quand nous la croyions perdue. Mais voilà que j'appréhende le Rite de la Capture qui devrait avoir lieu dans dix lunes environ. Je devrais m'absenter quelques jours et je n'envisage pas de partir sans prendre Arkos avec moi. J'espère simplement qu'il ne manquera pas trop à ma sœur.

Cela me fend le cœur de la priver de sa seule source de bonheur même si d'ici là, je compte bien faire céder Père au sujet de cette tradition qui a coûté la vie à notre frère aîné.

Je suis perdu dans mes réflexions quand j'entends le coup de corne assourdissant qui marque le début de la Cérémonie du Choix. L'idée de devoir contribuer au maintien de cette pratique qui a détruit nos vies à jamais me torture à tel point que je n'ai même pas vu l'Éclaireur et son chapeau ridiculement grand apparaître.

Le Don d'Ana - Tome I - L'Apprentie Élue (En cours de rédaction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant